Le Second Nuevo Cine argentin

Troisième volet de notre panorama du cinéma argentin contemporain, après une brève introduction sur l’histoire de ce cinéma national et une présentation des réalisateurs du Nuevo Cine (http://www.patagonie.carnetsdepolycarpe.com/2020/01/12/les-realisateurs-argentins-de-la-nouvelle-vague/), voici une sélection -par ordre alphabétique- de réalisateurs(trices) plus jeunes, dont beaucoup n’ont pas connu directement la dictature et que nous présentons à travers certaines de leurs œuvres. Né(e)s principalement dans les années 1970, ils (elles) forment une nébuleuse qu’on a qualifié de Second Nuevo Cine et qui compte un nombre croissant de femmes.

Pablo Agüero (né en 1977)

Salamandra 2008

Pablo Agüero a tiré de sa propre enfance les éléments de son premier long-métrage, d’une noirceur clinique, exprimant tout le pessimisme d’une génération. Le point de vue est celui d’un enfant de six ans, Inti Soler, qui vivait une enfance solitaire chez sa grand-mère à San Juan, dans le nord de l’Argentine, jusqu’à ce que sa mère, Alba, récemment sortie d’incarcération, vienne le chercher pour l’emmener dans le sud du pays où elle veut rejoindre une communauté hippie installée dans la région d’El Bolson (ville natale de Pablo Agüero). Mais le paradis imaginé s’apparente plutôt à un bidonville rural peuplé de mystiques, de survivalistes et de toxicos, en butte à l’hostilité des quelques paysans du coin. Les couleurs fades, le tournage caméra à l’épaule générant des images très saccadées, parfois décadrées, les scènes de nuit, tout contribue au sentiment de désenchantement et de délabrement physique et moral. La directrice de la photographie est la française Hélène Louvart. Le rôle d’Alba est tenu par Dolorès Fonzi (qui a été révélée par Vies Privées de Piñeyro), celui d’Inti est remarquablement interprété par Joaquin Aguila. Le musicien John Cale, qui fut membre du Velvet Underground, joue le rôle d’un membre européen de la communauté.

Lors du voyage vers le sud, la halte devant un autel à la Difunta Correa, figure mythique de la région de San Juan, évoquée également dans « La fiancée du désert » d’Atan et Pivato

Eva ne dort pas (Eva no duerme) 2015

Il s’agit évidemment d’Eva Peron, dont la personnalité a tant marqué l’Argentine. Le film est inspiré d’un fait réel : l’enlèvement du corps embaumé d’Eva Peron par les militaires putschistes, après le coup d’état qui renversa Juan Peron en 1955 et sa disparition pendant 20 ans, de cache en cache, de Buenos Aires à un cimetière italien, puis à Madrid avant son rapatriement en 1974. Symbole du péronisme, représentant toutes ses contradictions et ses ambigüités, Eva Peron jouissait d’une énorme popularité ; en 1970 les guérilleros Montoneros enlevèrent un général putschiste dans le but de l’échanger contre le corps d’Eva. Le film est divisé en chapitres, à la manière des films de Fernando Solanas et est entrecoupé d’images d’archives.

Denis Lavant, l’acteur fétiche de Leos Carax, joue un des rôles principaux. La distribution comprend aussi Gael Garcia Bernal, acteur mexicain, qui joue dans deux films du réalisateur chilien Pablo Larrain et qui fut en couple avec l’actrice Dolores Fonzi, devenue par la suite la compagne de Santiago Mitre. https://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/atelier_sur_le_film_eva_ne_dort_pas_en_presence_du_realisateur_pablo_aguero_alexis_yannopoulos.21063 ; https://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/entretien_avec_pablo_aguero_rencontres_2010.5725

Sur le même thème, on lira le roman à succès de Tomas Eloy Martinez paru en 1995 : Santa Evita (https://journals.openedition.org/etudesromanes/1395#ftn9).

Les Sorcières d’Akelarre (Akelarre) 2021

Inspiré de faits historiques et des écrits d’un magistrat français ayant contribué à la chasse aux sorcières dans la première moitié du XVIIe s., le dernier film de Pablo Agüero est aussi son premier film européen, tourné au Pays Basque avec des acteurs espagnols et co-produit par l’Espagne, la France et l’Argentine. Akelarre est dans la mythologie basque le lieu du sabbat des sorcières. Dans le film, dont l’action se déroule en 1609, en pleine chasse aux sorcières, Pierre de Rosteguy de Lancre, un magistrat missionné par le roi de France, ratisse les villages pour éradiquer une supposée prolifération de sorcières. Accompagné d’une petite troupe de soldats et du curé du lieu, il effectue une rafle de jeunes filles dans un village côtier déserté par les hommes et cherche à leur faire avouer leur sujétion au diable. Soumises à la torture, elles comprennent que leur seule chance de retarder une condamnation inéluctable au bûcher est de jouer sur l’attirance malsaine qu’elles suscitent chez leur juge, en lui servant le récit fantasmatique qu’il brûle d’entendre. L’espoir des jeunes femmes est de tenir cet homme en haleine jusqu’à la pleine lune, qui doit voir le retour des marins partis avec la marée. On reconnait la stratégie mise en œuvre par Shéhérazade dans le conte persan des Mille et Une Nuits.

Hormis les premières scènes de présentation des personnages, le film se déroule principalement en intérieur, soit dans la salle d’interrogatoire où chacune des jeunes filles est confrontée individuellement à la domination masculine, soit dans le cachot où les jeunes filles font ensemble l’apprentissage de la sororité, jusqu’à la scène nocturne finale, qui constitue l’acmé du récit, magistralement interprétée et filmée.

L’Argentin Daniel Fanego, qui interprète l’inquisiteur, a joué (en particulier) dans Luna de Avellaneda de Campanella, dans Salamandra de Pablo Aguero, dans El Angel de Luis Ortega ; il interprétait le général enlevé par les Monteneros dans Eva ne dort pas. Akelarre a remporté cinq Goya en mars 2021, dont celui de la meilleure actrice pour l’actrice espagnole Amaia Aberasturi et Javier Aguirre a été nommé pour le prix de la meilleure photographie.

Lisandro Alonso (né en 1975)

Jauja 2014

Tourné en argentique, mettant en scène des personnages rudes et mutiques dans un décor sauvage, Jauja pourrait passer pour un western (presque) classique, dont il emprunte la forme dans sa première partie. Le film est construit sur l’errance d’un officier danois du XIXe s., à la recherche de sa fille enfuie avec un soldat de son escorte, dans le contexte des guerres de conquête menées aux dépens des peuples indigènes. Le cadre géographique (la Patagonie) se prête évidemment aux scènes dramatiques qui jalonnent le film ; bien que l’immensité de ces paysages désertiques appelât plutôt le cinémascope, Alonso a choisi de se placer à contre-courant et de tourner au format académique (1:37) aux coins arrondis. La succession un peu trop systématique de longs plans fixes montrant des personnages solitaires, tantôt s’approchant du lointain, tantôt s’éloignant, lassera plus d’un spectateur, malgré la beauté formelle des images. Dans sa dernière demi-heure, le film bascule, de façon déroutante, dans un onirisme pas forcément bien justifié.

Comme dans bon nombre de films argentins (voir Jours de pêche en Patagonie ou El Presidente), les rapports père-fille tiennent un rôle majeur dans le film. Le rôle masculin principal est tenu par l’acteur d’origine danoise Viggo Mortensen, qui interprète Aragorn dans la trilogie du Seigneur des Anneaux. La photographie est dirigée par Timo Salminen, le chef opérateur du finlandais Aki Kaurismaki. Viggo Mortensen est aussi l’auteur de la musique, qui est toutefois peu présente au long du film. Le tournage a été effectué dans la province de Santa Cruz, à la frontière entre l’Argentine et le Chili ainsi que dans le parc Lihuel Calel (province de La Pampa) ; la scène charnière se passe au milieu des roches volcaniques de la réserve de Laguna Azul, proche des grottes de Pali Aike. Le film est dédié au critique cinématographique Alexis Tioseco et à sa compagne Nika Bohinc, journaliste slovène, assassinés par des malfaiteurs aux Philippines le 1er septembre 2009.

Lola Arias (née en 1976)

Teatro de guerra 2018

Entre le documentaire et la performance théâtrale, le long-métrage de l’artiste multiforme Lola Arias provoque un dialogue entre les anciens combattants britanniques et argentins de la guerre des Malouines et soulève toutes les interrogations individuelles liées à un conflit armé, à sa représentation et à son inscription dans le temps. Arias a reçu le prix du meilleur réalisateur(trice) argentin au BAFICI de 2018.

Cecila Atan (née en 1978) et Valeria Pivato (née en 1973)

La fiancée du désert (La novia del desertio) 2017

Teresa est une employée de maison d’origine chilienne au service d’une famille bourgeoise à Buenos Aires. Au bout de vingt ans, sa patronne lui signifie son congé et lui propose un nouvel emploi à San Juan, dans l’Ouest. Teresa quitte en bus la capitale argentine mais, à la suite d’un enchaînement de divers incidents, se retrouve bloquée dans une petite ville de pèlerinage on l’on vénère la « Difunta Correa ». En compagnie d’un marchand ambulant qui lui propose son aide, elle va sillonner le désert s’étendant au pied de la Cordillère et qui est sublimé par le choix du format cinémascope. Le rôle principal est tenu par Paulina Garcia, actrice et dramaturge chilienne qui joue dans Gloria de Sebastian Lelio et dans la série Narcos où elle interprète la mère de Pablo Escobar. Le directeur de la photographie, Sergio Armstrong, qui a collaboré avec les plus grands réalisateurs chiliens, a travaillé sur ce film, qui a été sélectionné à Cannes en 2017 dans la section Un certain regard (en concurrence avec El presidente de Mitre) et a reçu le prix du meilleur premier film aux Condors de Plata en 2018. Le film est produit par la société El Perro en la Luna dont Cecilia Atan est la cofondatrice.

Peri Azar (née en 1978)

Gran Orquestra 2019

Ce film documentaire est une enquête sur le grand orchestre de jazz d’Hector Lomuto, qui connut un grand succès dans les années 1950 en Argentine avant de sombrer dans l’oubli et le désintérêt. Il a obtenu le prix de la meilleure réalisation au BAFICI 2019. Hector Lomuto et son grand orchestre apparaissent dans le film de Manuel Romero, La rubia del camino (1938).

Tristan Bauer (né en 1959)

Bénis par le feu (Iluminados por el fuego) 2005

Monument commémoratif de la guerre des Malouines, avenida Malvinas Argentinas à Ushuaia (1987)

Basé sur un roman d’Edgardo Esteban, journaliste et ancien combattant, le film évoque, sous forme de flash-backs, la guerre des Malouines qui fut déclenchée par les militaires argentins durant la dictature pour tenter de reprendre aux Britanniques la possession de l’archipel des Falklands (Islas Malvinas pour les Argentins), en plein Atlantique Sud, dans la zone des Cinquantièmes hurlants. Entre le 2 avril et le 14 juin 1982, le conflit causa, côté argentin, des pertes humaines importantes (dont de nombreux conscrits) et la défaite argentine précipita la chute du régime totalitaire. Le directeur de la photographie du film est Javier Julia, le chef opérateur qui a travaillé sur les Nouveaux sauvages de Damian Szifron et sur El presidente de Santiago Mitre. Bénis par le feu a obtenu le Goya du meilleur film étranger en langue espagnole en 2006. Tristan Bauer a mené une longue carrière de documentariste ; il est également producteur de télévision et exerce des responsabilités importantes dans la gestion des télévisions publiques argentines.

Marco Berger (né en 1977)

Plan B (2009)

Premier long-métrage  de ce réalisateur qui a suivi des études de cinéma à l’Universidad del Cine de Buenos Aires. L’intrigue du film n’est pas sans rapport avec l’orientation sexuelle de son auteur : un jeune homme, Bruno (joué par Manuel Vignau), est largué par sa copine Laura, qui entame une liaison avec un autre garçon, Pablo (Lucas Ferraro, dont la ressemblance avec Gael Garcia Bernal est étonnante). Par dépit, Bruno cherche à torpiller le couple en poussant Pablo dans les bras d’une autre fille ; l’échec de cette manœuvre va l’inciter à élaborer un plan B.

Luis Bernardez (né en 1975)

Los Corroboradores 2018

Dans la lignée des films à intrigue complotiste mettant en scène des sociétés secrètes séculaires, Los corroboradores raconte les péripéties d’une journaliste parisienne, Suzanne, partie enquêter dans la capitale argentine sur une société secrète, los corroboradores,  dont le but annoncé était de transposer l’architecture monumentale du Paris haussmannien à Buenos Aires. Elle a rendez-vous avec un informateur, Martin Dressler, qu’elle ne rencontrera jamais. Derrière les faux-semblants, l’héroïne devra décrypter les symboles cachés pour infiltrer une élite de la classe dirigeante argentine et en découvrir les véritables desseins. Utilisant les ressorts du documentaire, le film intègre des interviews de personnalités argentines réelles : le sociologue Carlos Altamirano (du CONICET, le CNRS argentin), l’archéologue urbain et architecte Daniel Schavelzon (également chercheur au CONICET), le journaliste d’art et essayiste  Rafael Cippolini (qui fut conservateur du Musée d’art moderne de Buenos Aires), l’architecte Fabio Grementieri et l’historien Gabriel DiMeglio, professeur d’Université. A travers l’intrigue policière, transparaissent à la fois le questionnement sur la formation de l’identité argentine et sur le rôle des oligarchies. Le rôle de Suzanne est interprété par Andrée Leonet. https://www.loscorroboradores.com.ar/ ; https://www.traitdunion.com.ar/2018/08/20/los-corroboradores-de-luis-bernardez/ ; https://www.latitud-argentina.com/blog/los-corroboradores/

Anahi Berneri (née en 1975)

Alanis 2017

Anahi Berneri est une réalisatrice engagée dans la défense des communautés LGBT.  Son premier long-métrage, Un año sin amor, sorti en 2006, décrivait de façon quasi-documentaire le quotidien d’un jeune écrivain homosexuel séropositif à la vie sexuelle agitée. Alanis s’attache à la vie d’un autre personnage « hors-norme », une jeune mère de famille (jouée par Sofia Gala Castiglione, une actrice à la réputation sulfureuse), qui vit de la prostitution et connait des galères au quotidien.  Le film oscille entre l’image documentaire et une esthétique stylisée. Le rôle de l’enfant d’Alanis est tenu par le propre fils de l’actrice. Celle-ci a reçu plusieurs récompenses pour son interprétation, dont le prix de la meilleure actrice au Condor de Plata 2018. Alanis a aussi reçu le prix du meilleur film au festival international du nouveau cinéma latino-américain de la Havane en 2017.

Fabian Bielinsky (1959-2006)

Les Neuf Reines (Nueve Reinas) 2000

Les neuf reines du titre sont, dans ce film policier, des timbres rares émis par la République de Weimar et qui se trouvent au centre d’une histoire d’escroquerie complexe dans laquelle arnaqueurs et arnaqués se confondent. La tête d’affiche est partagée par Gaston Pauls (Bénis par le feu) et Ricardo Darin (Le fils de la mariée, Kamchatka, Les nouveaux sauvages, El Presidente…) qui interprètent un duo de petits escrocs porteños : le premier (Juan) est encore novice et conserve quelques principes, l’autre (Marcos) est un briscard dénué de scrupules. Fabian Bielinsky a fait ses études à l’INCAA et a travaillé comme assistant auprès de Carlos Sorin. Il a reçu la Catalina de oro du meilleur réalisateur au festival de Carthagène en 2006 pour son deuxième film, El aura. Il est mort prématurément au Brésil, alors qu’il travaillait sur son troisième long-métrage.

Adrian Biniez (né en 1974)

Las Olas 2017

Adrian Biniez est né en Argentine mais vit en Uruguay. Il a été lauréat des Catalinas de oro du meilleur film et du meilleur scénario au festival de Carthagène en 2010 pour Gigante, qui avait reçu l’Ours d’argent à Berlin l’année précédente.  Las Olas est son troisième long-métrage, c’est une production uruguayo-argentine.  La trame de Las Olas tient du fantastique et rappelle le pitch de comédies telles que Camille redouble ou Peggy Sue got married mais ici le ton est moins frivole et plus onirique. Le personnage central du film est un quadragénaire, Alfonso (interprété par Alfonso Tort), qui se rend au bord de la mer pour prendre un bain après son travail ; lorsqu’il émerge d’une plongée dans les eaux du Rio de La Plata, le paysage a changé et ses parents l’attendent sur la plage, le traitant comme un enfant de 11 ans. Il revit ensuite différents chapitres de sa vie, dans le désordre. Les vagues qui donnent son titre au film évoquent cette succession.  On trouve au générique Julieta Zylberberg (La niña santa, L’œil invisible, Les nouveaux sauvages), qui jouait dans le second long-métrage d’Adrian Biniez (El 5 de talleres).

Sebastian Borensztein (né en 1963)

El chino (Un cuento chino) 2011

Le point de départ de cette comédie, complètement improbable (la chute d’une vache du ciel sur une barque de pêcheur chinois) est pourtant inspiré d’un faits-divers réel.  Ricardo Darin campe Roberto, un quincaillier maniaque qui recueille à Buenos Aires un jeune chinois, Jun, qui cherche son oncle. Le film a été un gros succès populaire en Argentine et a reçu le Goya du meilleur film ibéro-américain en 2012.

Heroic Losers (La odisea de los giles) 2019

Film co-produit par Ricardo Darin, qui est un des interprètes avec son fils Chino, Heroic losers a été choisi pour représenter l’Argentine dans la course aux Oscars 2020, mais il n’a pas été nominé. A la manière des films sociaux anglais, Heroic losers raconte l’histoire d’un groupe de gens ordinaires mais de bonne volonté qui, lors de la crise économique de 2001, vont unir leurs efforts pour faire face mais vont se heurter à de nombreuses difficultés. On retrouve dans ce film, entre autres, Luis Brandoni (Un coup de maître), Veronica Llinas (la soeur du réalisateur Mariano Llinas) et Rita Cortese (Héritage, Les nouveaux sauvages).

Daniel Burman (né en 1973)

Felicidad (El misterio de la felicidad) 2014

Avec son film précédent, Le Fils d’Elias, Burman avait été décrit comme le Woody Allen argentin. Sans doute à cause de ses racines juives (il a grandi dans le quartier juif de Once à Buenos Aires, le « Sentier » porteño), mais aussi pour son regard clinique sur les personnages qui peuplent sa ville (Buenos Aires substitué à New York). Il est indéniable que l’intrigue de Felicidad évoque un synopsis du réalisateur new-yorkais : deux amis d’enfance dirigent en association une petite affaire prospère à Buenos Aires mais la disparition soudaine de l’un d’eux laisse l’autre désemparé. Associé bon gré mal gré à l’épouse du disparu, il entreprend une enquête qui lui fait découvrir que leur amitié n’était pas si fusionnelle. Le jeu des acteurs, parfaitement dirigés, l’écriture des dialogues et le travail sur la psychologie des personnages évoquent il est vrai le cinéma allenien, de même que l’utilisation des couleurs chaudes dans de nombreux plans du film. Outre le thème de l’amitié, cette comédie traite surtout, sur le mode léger, de la recherche individuelle du bonheur. Le rôle masculin principal est joué par Guillermo Francella, qui interprète le chef de famille dans El Clan.

Israel Adrian Caetano (né en 1969)

Pizza, birra, faso 1998

Bien que né à Montevideo (Uruguay), Caetano a réalisé sa carrière cinématographique en Argentine, où il réside. Pizza, birra, faso (pizza, bière et cigarettes) est son premier long-métrage, coréalisé avec Bruno Stagnaro. Les héros du drame sont de jeunes délinquants qui enchaînent les petits méfaits et les délits plus sérieux, sur un fond de crise économique. Le film, réalisé avec un petit budget, reçut un accueil favorable et fut récompensé par plusieurs prix dans des festivals internationaux. Il est considéré comme une des œuvres fondatrices du second Nuevo Cine.

L’ours rouge (Un oso rojo) 2002

Apparenté à un polar classique par son intrigue, le film raconte le retour parmi les siens d’un truand libéré de prison après 7 ans derrière les barreaux, qui retrouve sa fille Alicia et son ex-compagne Natalia qui est en couple avec Sergio, un bon à rien. Il va tenter de leur venir en aide à sa manière. Julio Chavez (El Custodio, El Otro) interprète le rôle principal. Soledad Villamil, qui a joué dans plusieurs films de Campanella, interprète Natalia. Le rôle de Sergio est interprété par René Lavand, un magicien manchot mort en 2015.

Juan José Campanella (né en 1959)

Outre son travail de réalisateur pour le cinéma, Campanella a travaillé pour la télévision, pour des séries états-uniennes. Il se partage entre l’Argentine et les Etats-Unis, ce qui lui a probablement permis de pénétrer dans le cénacle des Oscars. Campanella a récemment fait parler de lui en apportant son soutien –en même temps que l’acteur Luis Brandoni- au président néolibéral (et homme d’affaires) Mauricio Macri, candidat à la réélection en octobre 2019.

Le fils de la mariée (El hijo de la novia) 2001

Le fils, c’est Ricardo Darin, acteur fétiche de Campanella, qui campe un quadragénaire englué dans les problèmes de gestion de son restaurant et qui mène sa vie affective dans une impasse. La mariée, c’est Norma Aleandro (L’histoire officielle), qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer et que son mari (Eduardo Blanco, autre acteur fétiche de Campanella) veut épouser religieusement pour réaffirmer son amour, demeuré intact au bout de 44 ans. Le film est servi par un jeu d’acteurs irréprochable et par des dialogues brillants, non dénués d’humour malgré la gravité du sujet. Le personnage de l’ami d’enfance du fils, joué par un Eduardo Blanco irrésistible en acteur raté, apporte sa touche de légèreté et de comique, comme dans une des scènes notables du film, où les deux amis se disputent dans un restaurant en arrière-plan d’un tournage pendant qu’un acteur déclame à sa sauce le monologue d’Hamlet. Le directeur de la photographie est Daniel Shulman, qui a travaillé sur plusieurs autres films de Campanella. Le film a été nominé aux Oscars 2002 dans la catégorie du meilleur film étranger.

Dans ses yeux (El secreto de sus ojos) 2009

Dans ses yeux, adapté d’un livre d’Eduardo Sacheri (La pregunta de sus ojos, paru en 2005) tient à la fois du thriller, de la comédie dramatique et du film politique. Voyant la vieillesse approcher, un enquêteur du ministère de la justice cherche à revenir sur son passé et sur ses occasions manquées, en se plongeant dans l’écriture d’un roman-réalité consacré à une affaire criminelle qu’il a résolue 25 ans plus tôt. L’arrivée au pouvoir d’Isabel Peron en 1974 avait réduit ses efforts à néant et l’avait contraint à l’exil intérieur en renonçant à tous ses attachements et à ses espoirs. Le réalisateur utilise intelligemment les flash-backs, sans pour autant égarer le spectateur. Le jeu des acteurs est irréprochable ; aux côtés de l’interprète principal (l’incontournable Ricardo Darin), la magnifique Soledad Villamil (qui reçut plusieurs prix pour son interprétation) est à la fois la supérieure hiérarchique et l’objet de la passion secrète du héros tandis que Guillermo Francella, aussi à l’aise dans les rôles comiques que dramatiques, compose un personnage à la fois drôle et touchant qui apporte quelques savoureux moments d’humour au film. On retrouve au générique un autre nom connu du cinéma argentin : le directeur de la photo Félix Monti. La durée du film (130 mn) aurait pu être diminuée utilement par une simplification du dénouement, qui se perd un peu dans les rebondissements, comme si le réalisateur hésitait entre plusieurs fins et les proposait successivement au spectateur. Ce film, remarquable par ailleurs, a reçu l’Oscar du meilleur film étranger en 2010, devenant ainsi le deuxième film argentin à recevoir cette récompense ; il a également été récompensé par le Goya du meilleur film ibéro-américain en 2010. Un remake a été tourné en 2015 aux Etats-Unis : Aux yeux de tous (Secret in their eyes), de Billy Ray avec Nicole Kidman et Julia Roberts.

La conspiration des belettes (El cuento de las comadrejas) 2019

En rasion de la pandémie, le film n’est sorti dans les salles françaises qu’en juillet 2021

Dans une vaste demeure isolée qui a connu des jours meilleurs, vivent quatre vieilles célébrités du cinéma argentin. La figure centrale, c’est Mara Ordaz, une ancienne star oscarisée  qui a fait de sa villa un musée surchargé, aux allures de mausolée. Elle est entourée de trois septuagénaires qui ont participé à sa gloire : Pedro de Cordova, son ancien partenaire, un acteur médiocre qui l’a épousée au temps de sa splendeur et qui est désormais cloué dans un fauteuil roulant ; Norberto Imbert, un ancien réalisateur qui se consacre désormais à la chasse aux nuisibles ; enfin Martin Saravia, un ancien scénariste de talent dont la carrière a été brisée par la dictature. Ce quatuor, uni par leur passé commun, a instauré un confortable modus vivendi, malgré les rosseries qu’ils échangent et en dépit des rongeurs et autres petits prédateurs qui s’aventurent dans le domaine. Jusqu’au jour où un couple d’agents immobiliers sans scrupule débarque à l’improviste, brisant cet équilibre fragile.

Le film est un remake d’un film de José Martinez Suarez, Los muchachos de antes no usaban arsenico, sorti en 1976 ; le titre parodiait celui d’un autre film argentin de 1937 (repris en 1969), Los muchachos de antes no usaban arsenico. Le titre choisi par Campanella fait évidemment référence à la double menace que font peser sur la maison les prédateurs animaux et humains, ces derniers étant de loin les plus dangereux.

Dans cette parabole, deux mondes irréconciliables s’affrontent sans merci : « l’ancien monde », idéaliste, fantasque et ingénieux –celui des artistes- contre le « nouveau monde », matérialiste, individualiste et arrogant. Cette confrontation est aussi celle des générations -jeunes loups contre vieux fourneaux– explicitée dans la scène de la partie de billard. Nul besoin de chercher très loin pour voir dans cette comédie grinçante et jubilatoire une allégorisation de l’Argentine : l’ancienne splendeur qu’on peut déceler dans l’architecture bonaerense, la décrépitude des années de crise et l’invasion du néolibéralisme.

Les références cinématographiques sont nombreuses : l’actrice vieillissante évoque bien sûr la Norma Desmond de Boulevard du Crépuscule mais les spectateurs français penseront à La fin du jour de Duvivier et même à Jo de Jean Girault…

Mara est interprétée par Mara Ordaz qui, comme son personnage, fut jadis adulée pour sa beauté et son talent et qu’on a pu voir, entre autres, dans La Cienaga ; le charismatique Oscar Martinez (Citoyen d’honneur, Les Nouveaux sauvages) interprète Norberto ; le personnage de Pedro est joué par Luis Brandoni (Coup de maître). Marcos Mundstock, qui interprète Martin, est mort en 2020, peu après la sortie du film. Nicolas Francella, un acteur et chanteur argentin aux faux airs de Ryan Gossling, joue le rôle du « développeur immobilier » ; c’est le fils de Guillermo Francella (en Argentine aussi, le cinéma est une affaire de famille). Clara Lago, qui joue le rôle d’une notaire sans scrupules, est la seule actrice étrangère du film.  Le chef opérateur est Felix Monti, un des grands noms du cinéma argentin.

Marcos Carnevale (né en 1963)

Comme Campanella, Carnevale a travaillé pour des séries télévisées ; il a aussi une carrière notable dans le domaine de la publicité. Il a réalisé Inséparables en 2016, un remake argentin du film Intouchables, avec Oscar Martinez (Citoyen d’honneur) dans le rôle tenu auparavant par François Cluzet.

Elsa et Fred (Elsa y Fred) 2005

C’est le troisième long-métrage de Carnevale. Le film se passe en Europe (Madrid et Rome) et raconte un amour naissant entre deux personnes âgées. Elsa et Fred a connu un certain succès au box-office en Amérique latine et a fait l’objet d’un remake états-unien réalisé par Michael Radford, avec Christopher Plummer et Shirley MacLaine dans les rôles principaux.

Corazon de Leon 2013

Cette comédie romantique est basée sur la relation qui s’installe, à la suite du hasard, entre une brillante avocate et un homme de petite taille (Guillermo Francella, l’acteur de Felicidad et de El clan). Le film a été un succès populaire en Argentine et a également fait l’objet d’un remake, français cette fois (Un homme à la hauteur, avec Jean Dujardin et Virginie Effira).

Martin Carranza (né en 1968) et Victoria Galardi (née en 1977)

Amorosa Soledad 2008

Entre Bridget Jones et Woody Allen, les déboires sentimentaux, les petits tracas quotidiens et les troubles hypocondriaques d’une jeune fille émouvante et fragile, Soledad Correa (jouée par Ines Efron -la jeune actrice révélée par XXY– qui est de tous les plans). Elle travaille dans une boutique de design de Buenos Aires (La Esperanza) tenue par un couple de décorateurs. Après une rupture, elle décide de  vivre seule pendant deux ou trois ans mais la vie solitaire est difficile à assumer. Le rôle du père de Soledad est joué par Ricardo Darin. Le directeur de la photographie est Julian Ledesma, qui a travaillé sur le court-métrage de Lucia Puenzo, Les invisibles et sur un autre long-métrage de Victoria Galardi.  La caméra use souvent des contre-plongées et des plans larges dans les scènes d’intérieur afin de souligner la solitude de l’héroïne. Un film attachant, servi par une interprétation juste et par le charme d’Ines Efron.

Albertina Carri (née en 1973)

La hijas del fuego 2018

La critique a loué le côté novateur et culotté (si l’on peut dire) de cette œuvre, qualifiée de « road-movie porno lesbo-féministe ». L’intrigue est simple et complètement accessoire, rappelant les happenings provocateurs des années 70 : deux lesbiennes prennent la route dans une camionnette volée et sillonnent la Terre de Feu, y rencontrant des partenaires sexuelles de plus en plus nombreuses, dans une atmosphère qu’on pourrait qualifier de fellinienne si les décors patagoniens n’apportaient pas une ambiance toute différente. L’ambition affichée par la réalisatrice (fille d’un couple de Montoneros assassinés par la dictature et lesbienne militante) est cependant nettement plus politique ; elle s’inscrit dans un genre apparu dans les années 1990 et qui est illustré en France par des réalisatrices et « performeuses » telles qu’Ovidie ou Olympe de G. Le film –dont l’affiche annonce clairement la couleur- est interdit aux moins de 18 ans. Il a remporté le prix du meilleur long-métrage au Pornfilmfestival à Berlin en 2018 mais aussi le prix du meilleur film argentin au BAFICI la même année.

Delfina Castagnino (née en 1981)

Angelica 2019

Angelica est une femme proche de la quarantaine, qui subit une série d’évènements malheureux : la mort de sa mère, la vente et la prochaine démolition de sa maison d’enfance ; elle s’enfonce dans la dépression. Cet enfermement psychologique volontaire va trouver son expression matérielle. Meilleur long-métrage argentin au festival de Mar del Plata en 2019.

Lucio Castro (né en 1975)

Fin de siglo 2019

Ocho est un Argentin quarantenaire qui travaille à New York et vient passer quelques jours de vacance à Barcelone. A la recherche d’une rencontre amoureuse, il drague Javi, un Espagnol de passage dans la capitale catalane mais qui vit à Berlin. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés vingt ans plus tôt, à la veille du troisième millénaire, alors qu’ils étaient tous deux en train de découvrir leur homosexualité. Ocho avait occulté cette relation et l’afflux des souvenirs fait s’entremêler le champ des possibles. Filmée avec justesse et de façon presque naturaliste, malgré une certaine complaisance pour la plastique de l’acteur principal, Juan Barberini, cette comédie romantique acte le passage à une nouvelle ère, où l’homosexualité n’est plus un sujet en soi. Le rôle de Sonia, l’ex-compagne de Javi, est tenu par l’actrice et chanteuse argentine Mia Mastro, qui a joué dans Frida de Julie Taymor et dans La niña santa de Lucrecia Martel et qui présente une certaine ressemblance physique avec Nathalie Portman. Ce premier long-métrage a gagné le prix du meilleur film argentin au BAFICI de 2019.

Lucia Cedron (née en 1974)

Agnus Dei (Cordero de Dios) 2008

C’est le premier long métrage de cette réalisatrice, fortement inspiré par sa propre (et tragique) histoire familiale, elle-même ancrée dans l’histoire récente du pays. Le film mêle ainsi, selon un scénario intelligemment construit, un présent imprégné par la crise économique et l’insécurité avec  des flash-backs dominés par le souvenir des meurtres imputables à la dictature militaire. Le père de la réalisatrice, Jorge Cedron, était lui-même cinéaste, militant à gauche ; comme le mari de l’héroïne du film, il est décédé dans des circonstances troubles (il est mort poignardé en juin 1980 dans les locaux de la PJ à Paris, alors qu’il était interrogé dans le cadre de l’enlèvement contre rançon de son beau-père, ancien maire de Buenos Aires). https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/07/17/la-mort-de-jorge-cedron_2795384_1819218.html Dans la fiction, quatre personnages d’une même famille de Buenos Aires -le grand-père (un vétérinaire aisé qui a entretenu des liens ambigus avec la dictature), sa fille, exilée en France et qui refuse l’amnistie des bourreaux, son gendre (un activiste de gauche) et sa petite-fille, très attachée à son grand-père- doivent, à un moment ou à un autre, affronter des circonstances dramatiques et effectuer un choix difficile entre leurs sentiments et leurs principes éthiques.

Lucia Cedron est aussi la nièce de Juan Cedron, membre fondateur du célèbre Cuarteto Cedron, auquel Fernando Pérez a consacré un film documentaire en 2011. L’actrice principale d’Agnus Dei, Mercedes Moran, joue également dans le Neruda de Larrain ; elle fut l‘épouse de l’acteur Oscar Martinez, remarqué dans Les enfants sont partis de Daniel Burman et surtout dans Le citoyen d’honneur de Gaston Duprat et Mariano Cohn. Le film est coproduit par Les Films d’ici et distribué par Ad Vitam (deux sociétés françaises). Ad Vitam est également le distributeur de Paulina de Santiago Mitre, d’Elefante Blanco, de Leonera et de Carancho de Pablo Trapero, de La femme sans tête et de La Cienaga de Lucrecia Martel ainsi que de plusieurs documentaires de Fernando Solanas. Agnus Dei a reçu le Prix Sud du meilleur premier film en 2008 et le Colibri d’or aux 10e rencontres du Cinéma Sud-Américain à Marseille .

Alejandro Chomski (né en 1968)

Aujourd’hui et demain (Hoy y mañana) 2003

Paula, une jeune femme issue de la classe moyenne, rêve d’être actrice. Acculée par le besoin d’argent nécessaire au paiement de son loyer, privée de soutien, elle ne voit que la prostitution comme seul recours. Le film est une peinture de la crise économique qui a secoué la société argentine entre 1998 et 2002 et dont le pays subit encore les contrecoups. Le rôle de Paula est joué par Antonella Costa, une actrice argentine d’origine italienne.

Mariano Cohn (né en 1975) et Gaston Duprat (né en 1969)

L’homme d’à côté (El hombre de al lado) 2011

Le lieu de tournage de cette comédie noire est la maison du Dr Curutchet à La Plata, la seule œuvre architecturale de Le Corbusier en Amérique latine. C’est là que Leonardo, un designer en vue, vit avec sa famille . Mais un jour, il se découvre un voisin, à qui tout l’oppose.

Citoyen d’honneur (El cuidadano illustre) 2016

Daniel Mantovani, interprété par Oscar Martinez, est un écrivain argentin d’âge mûr, portant sur le monde un regard sans complaisance et qui s’efforce d’accorder son comportement à son idéal d’intégrité. Couronné du prix Nobel de littérature, choyé et couvert d’honneurs, il mène une vie de privilégié dans sa villa cossue de Barcelone, où il réside depuis son départ d’Argentine 40 ans plus tôt. Vivant assez mal cette reconnaissance qui sonne comme une statufication, il décline les plus prestigieuses invitations et accepte pourtant celle de son village natal, Salas, la source d’inspiration de son œuvre littéraire, qu’il a quitté sans regret mais qui souhaite célébrer l’enfant du pays (on pense évidemment à l’Aracataca/Macondo de Garcia Marquez). Dans ce village perdu au fin fond de l’Argentine profonde, il connaîtra le choc culturel que l’on pressentait et retrouvera une communauté qu’il avait fui, dont l’attitude à son égard évoluera durant son bref séjour. L’homme illustre devra se confronter à la vie étriquée et à la mesquinerie qui accompagnent la petitesse des moyens financiers et intellectuels. Derrière la comédie transparait une vision assez désabusée de la nature humaine et une critique féroce de la société traditionnelle argentine, qui pourrait aussi bien trouver son équivalent dans le Sud profond des Etats-Unis et dans ses traductions cinématographiques ; certaines scènes frôlent d’ailleurs le western. Le film interroge aussi sur la fonction de l’écriture et de l’art en général, discutée en particulier dans deux monologues du film. La formation de documentariste des réalisateurs se ressent dans certains plans du film, en particulier les plans fixes sur les rues du village et sur ses habitants (le film a été tourné essentiellement à Navarro, dans la province de Buenos Aires, d’autres scènes ont été filmées à Uribelarrea). Oscar Martinez a été récompensé à la Mostra de Venise pour son interprétation ; on remarquera aussi, dans un rôle secondaire, le jeu d’acteur de Dady Brieva, qui rend magnifiquement l’ambigüité inquiétante de son personnage. Citoyen d’honneur a reçu le Goya du meilleur film ibéro-américain en 2017. http://Citoyen d’honneur a reçu le Goya du meilleur film ibéro-américain en 2017.

Gaston Duprat (né en 1969)

Un coup de maître (Mi obra maestra) 2018

Cette nouvelle comédie grinçante règle des comptes avec le monde de l’art contemporain, ses faux-semblants et la mécanique qui règle réellement ce milieu et qui est évidemment gouvernée par l’argent. Autant dire que le film a reçu un accueil mitigé de la part de certains critiques… Avec Guillermo Francella (Felicidad, Dans ses yeux, Corazon de Leon, El Clan,…) dans le rôle du marchand d’art et Luis Brandoni dans le rôle du peintre.

Pour en savoir plus sur Cohn et Duprat :

  • Adriana CALLEGARO : Crisis del arte en el cine de Cohn y Duprat, in Adriana CALEGARO, Andrés DI LEO RAZUK et Esteban MUZRAHI (dir) : Cine y cambio social, imagines sociopoliticas de la Argentina (2002-2012), Universidad Nacional de La Matanza, 2017, p. 27-64.

Alejandro Fadel (né en 1981)

Alejandro Fadel a étudié à la FUC de Buenos Aires. Il a coréalisé en 2003 un long-métrage produit par la FUC et Mariano Llinas, qui a remporté un grand succès en Argentine. Il a ensuite fait une carrière de scénariste pour le cinéma et la télévision, travaillant en particulier pour Pablo Trapero.

Meurs, monstre, meurs (Muere, monstruo, muere) 2018

A la limite entre le thriller et le film fantastique, le second long métrage d’Alejandro Fadel (le scénariste de Pablo Trapero) brouille les pistes et mélange les genres de façon surprenante –ou irritante selon les appréciations. L’histoire se déroule dans la cordillère des Andes où une créature sanguinaire sème des cadavres de femmes décapitées, dans une ambiance irréelle à la Twin Peaks.  Le policier chargé de l’enquête, Cruz (Victor Lopez), suspecte rapidement David (Esteban Bigliardi), le mari d’une victime –qui est aussi la maîtresse du policier. Les 3 M du titre entrent en résonance avec la morphologie d’une chaîne de montagnes. Julie Gayet (qui fut l’épouse d’un scénariste d’origine argentine) figure au générique en tant que productrice.

Pablo Fendrik (né en 1973)

La sangre brota 2008

Deuxième long-métrage de ce cinéaste qui a fait ses études au Centro de Investigacion Cinematografica de Buenos Aires, La sangre brota traite, dans une temporalité comprimée en une journée, des rapports complexes et conflictuels entre les membres d’une même famille : le père Arturo, chauffeur de taxi (Arturo Goetz), le fils aîné Ramiro et le fils cadet Leandro, une petite frappe toxicomane (joué par Nahuel Perez Biscayart, l’interprète inoubliable de 120 battements par minute). Pablo Fendrik ne se cache pas d’avoir voulu, à travers cette fiction, régler des comptes avec sa propre histoire familiale.

Ardor 2014

Ardor se déroule dans la forêt tropicale de la région de Misiones, en Argentine. Le film s’apparente au genre du western, en particulier de la catégorie revenge-story. Le héros, interprété par Gael Garcia Bernal, est un jeune homme solitaire qui est témoin de l’attaque d’une ferme par des mercenaires à la solde de sociétés multinationales. Il va entreprendre de faire justice lui-même en traquant les meurtriers dans une nature hostile. Le film n’a pas été distribué en salles en France.

Gustavo Fontan (né en 1960)

El limonero real 2016

Adapté d’un roman de Juan Jose Saer, le onzième long-métrage de ce réalisateur minimaliste propose au spectateur de suivre le trajet d’un homme mûr, Wenceslao, sur une journée dans le delta du Parana.

Andreas Fontana (né en 1982)

Andreas Fontana est né en Suisse, où il enseigne, mais il a été formé à Buenos Aires et a gardé un lien privilégié avec l’Argentine ; sa trajectoire présente une certaine symétrie avec celle de la réalisatrice Milagros Mumenthaler.

Azor 2021

Azor est le premier long-métrage d’Andreas Fontana. C’est une co-production argentino-franco-suisse. Le scénario est signé du Français Albert Dupontel –encore auréolé des succès d’Au-revoir là-haut et Adieu les cons– et du réalisateur  argentin Mariano Llinas (La Flor), qui avait participé au scénario d’El Presidente. D’autres noms connus figurent au générique : Eugenia Mumenthaler (la sœur de Milagros et sa productrice), la chanteuse et actrice uruguyaenne Elli Medeiros –dont les quinquas français ne peuvent avoir oublié le hit Toi mon toît (1,7 M de vues sur YouTube)- et l’acteur et réalisateur Pablo Torre Nilsson (le fils du réalisateur Leopoldo Torre Nilsson, qui fut un des moteurs du Nuevo Cine). L’intrigue se déroule dans le milieu bancaire, un monde aussi policé d’apparence qu’il est impitoyable dans sa réalité, durant la dictature argentine. Le film est présenté à la 71e Berlinale et au 69e festival de San Sebastian avant sa sortie en France.

Ivan Fund (né en 1984)

Piedra noche 2021

Le film se déroule en bord de mer, où a disparu Dennis, le fils de Greta et de Bruno. Un an après le drame, le couple revient à Linda Bay pour vendre leur maison à un entrepreneur, Genero, qui souhaite exploiter la rumeur locale faisant état d’une créature marine apparue au moment de l’abandon d’une plateforme d’extraction sous-marine japonaise. Entre film fantastique et fable écologiste, Piedra noche explore aussi le thème du deuil.

Le réalisateur Santiago Loza, avec lequel Ivan Fund avait déjà travaillé, a participé à l’écriture du scénario. Le rôle de Greta est tenu par Mara Bestelli, qui a tourné dans Patagonia, el invierno d’Emiliano Torres ainsi que dans Historia del Miedo et dans Rojo de Naishtat. Marcello Subiotto, qu’on a pu voir dans la Larga noche de Francisco Sanctis, interprète Bruno tandis qu’Alfredo Castro  (le fameux acteur « larrainien ») incarne Genero. Le directeur de la photographie, Gustavio Schiaffino, avait déjà collaboré avec Ivan Fund en 2018 sur Vendran lluvias suaves.

Hernan Gaffet (né en 1964)

Ville en chaleur (Ciudad en celo) 2006

Daniel Kuzniecka

C’est le début de l’été à Buenos Aires, les femmes se dénudent et les hommes, jeunes ou moins jeunes, cherchent à obtenir leurs faveurs. Le bar Garllington (contraction de Gardel et d’Ellington) est un café de quartier de Buenos Aires tenu par Duke, un patron bourru mais au grand cœur, où se retrouvent de vieux amis : Sergio, un scénariste de cinéma qui vient d’être trompé par sa femme, Marcos, le séducteur partagé entre ses anciennes amours et ses nouvelles conquêtes et Valeria, une chanteuse de tango qui les a aimés tour à tour. Le réalisateur mêle le drame et la comédie à un rythme soutenu si bien que les deux se confondent dans un chassé-croisé plaisamment  orchestré. L’esprit porteño imprègne le film, qui rend hommage au tango et à la ville de Buenos Aires, considérée allégoriquement comme une femme et représentée « par l’Avenida 9 de Julio plutôt que par l’Obélisque », comme le déclare l’un des protagonistes. C’est le premier long-métrage de fiction d’Hernan Gaffet qui a surtout réalisé des documentaires ; le directeur de la photo est Marcelo Camorino, qui a travaillé avec Bielinsky sur les Neuf Reines. Le rôle de Sergio est tenu par l’acteur panaméen Daniel Kuzniecka, qui a tourné avec Piñeyro, Valeria est jouée par la chanteuse Dolores Sola. Claudio Rissi, qui jouait dans La fiancée du désert, interprète Duke.

Daniel Kuzniecka, Claudio Rissi, Dolores Sola et Adrian Navarro

Pablo Giorgelli (né en 1967)

Les Acacias (Las Acacias) 2011

Il s’agit d’un road movie, sur l’autoroute qui relie Asuncion à Buenos Aires. Un chauffeur routier solitaire et bourru, Ruben, prend à son bord une femme inconnue nommée Juanita et son bébé, Anahi, à la recherche d’une nouvelle vie en Argentine. Ils vont apprendre à s’apprivoiser dans le huis-clos de la cabine, qui contraste avec l’immensité des paysages traversés. Ruben est interprété par German de Silva, qui tient un rôle secondaire dans un sketch des Nouveaux sauvages ; Hebe Duarte joue le rôle de Juanita. Le film a obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2011.

Federico Godfrid (né en 1977) et Juan Sasiain (né en 1978)

La Tigra, Chaco 2009

Esteban est un jeune  homme qui s’est installé à Buenos Aires où il exerce le métier de camionneur. Six ans après son départ vers la capitale, il revient dans son village natal de La Tigra, dans les plaines du nord-est du pays, pour voir son père, Chaco. Ce dernier s’est absenté et dans son attente Esteban est hébergé par sa vieille tante, Candelaria, qui est d’origine tchèque. Retrouvant ses souvenirs d’enfance, il renoue des fils avec la petite communauté villageoise qui vit au rythme tranquille du travail, des séances de football, des parties de carte, des concerts amateurs et des fêtes dansantes. Il retrouve le goût du terere -variante locale du maté que les habitants boivent tout au long de la journée- et fait la connaissance de sa belle-mère et de ses deux demi-frères. Il retrouve surtout Vero, une amie d’enfance dont il s’éprend mais qui est fiancée à Roger, un chanteur de rock amateur. Tourné avec le concours des habitants, le film prend le temps d’installer l’atmosphère conviviale et le rythme lent de la province, en accumulant les plans fixes en et ménageant de longs silences dans les dialogues. Il revient aux acteurs (Ezequiel Tronconi dans le rôle d’Esteban et Guadalupe Docampo dans le rôle de Vero) de traduire par leurs regards et leurs attitudes les sentiments qui les poussent l’un vers l’autre. Ezequiel Tronconi a été nominé pour ce rôle comme révélation masculine à plusieurs prix (prix Sur, prix Condor de Plata). Ce film pourrait être l’antithèse de Citoyen d’honneur, qui dénonce les aspects malsains de la vie villageoise.

Hernan Goldrid (né en 1979)

Hipotesis (Tesis sobre un homicido) 2013

L’intrigue de ce thriller, tiré du roman éponyme de Diego Paszkowski, présente quelques points communs avec la Corde d’Hitchcok : dans le film de Goldrid un professeur de droit pénal (Ricardo Darin), Roberto Bermudez, soupçonne un de ses meilleurs élèves (joué par Albert Ammann) du meurtre sauvage d’une jeune femme, commis à la Faculté de droit ; il va chercher à tout prix à le confondre. https://www.youtube.com/watch?v=GbcLv4IotME

Rodrigo Grande (né en 1974)

Au bout du tunnel (Al final del tunel) 2016

Le film appartient au genre du thriller. Un ingénieur paralysé découvre qu’un cambriolage par le sous-sol se prépare dans une banque voisine de sa maison.

Sandra Gugliotta (née en 1969)

Un dia de suerte 2002

Un dia de suerte  traite de la crise économique argentine de 1999-2002, à travers la vie quotidienne d’Elsa, une jeune fille d’origine italienne qui vit de petits boulots et de combines et rêve de partir pour le pays de ses origines et y retrouver un ancien petit ami. Tourné à Buenos Aires pendant la crise, le film s’apparente à un docu-fiction par l’intégration d’images documentaires.

Paula Hernandez (née en 1969)

Héritage (Herencia) 2001

La caméra de Paula Hernandez traque avec bienveillance et optimisme la vie d’un quartier populaire de Buenos Aires, à travers deux personnages principaux à l’histoire symétrique : Peter, jeune immigrant fraîchement arrivé d’Allemagne et Olinda, une femme mûre d’origine italienne qui tient un petit restaurant de quartier. Héritage a reçu plusieurs prix dont les prix du meilleur film et de la meilleure actrice au festival de Vina del Mar et le prix du meilleur premier film de l’INCAA.

Gustavo Hernandez Ibanez (né en 1978)

Gustavo Hernandez est né à Montevideo (Uruguay). Il réalise des films d’horreur, comme The silent house (la Casa muda) en 2012.

No dormiras 2017

Bianca Aquilar (jouée par Eva Dominici, actrice argentine) est une jeune actrice talentueuse et volontaire. Elle croit saisir la chance de sa vie lorsqu’on lui propose de participer à une expérience théâtrale inédite conçue par une metteuse en scène d’avant-garde, Alma Böhm (interprétée par Belen Rueda, l’actrice principale de L’orphelinat), dont le projet est de monter une représentation dans un hôpital psychiatrique déserté. La pièce est inspirée du journal d’une patiente décédée dans le même hôpital dans des circonstances tragiques. Alma avait déjà mis en scène, dix ans plus tôt, une performance/expérience publique sur les désordres psychiques amenés par la privation de sommeil, amenant son actrice d’alors à la limite « entre le sommeil, la folie et la mort ». Bianca se trouve, comme les autres acteurs du groupe, plongée en autarcie dans le décor mortifère de l’hôpital et soumise à un régime de privation de sommeil destiné à porter le jeu des acteurs à un niveau encore jamais atteint en les rendant totalement perméables aux émotions. Cette intrigue trouve un vague écho –par le côté huis-clos- dans le film de Gaspar Noé, Climax. Progressivement les acteurs vont se retrouver possédés –au sens propre- par leur rôle. Confronté à une mise en abyme du passé dans le présent, l’héroïne du film, comme le spectateur, voit se confondre l’imaginaire et le réel. Malgré l’usage un peu facile de screamers, le film parvient à instiller un climat d’angoisse de façon plutôt subtile. Le directeur de la photo est Guillermo Nieto. On remarquera quelques plans et mouvements de caméra intéressants (travellings circulaires, vues en plongée). German Palacios, un des acteurs de XXY, joue un rôle secondaire, les personnages principaux étant tous des femmes.

Photogramme de No dormiras

Diego Lerman (né en 1976)

Diego Lerman a suivi des études de cinéma à l’Université de Buenos Aires, puis des cours de théâtre. Il a été assistant et scénariste et a travaillé dans la publicité avant de réaliser lui-même.

Tan de repente 2002

Partiellement inspiré d’un roman de César Aira paru en 1992 (La Prueba), dont Diego Lerman avait déjà tiré un court-métrage éponyme en 1999 (avec les mêmes actrices), le film tourne autour de la rencontre improbable de trois jeunes filles ; l’une, Maria, est vendeuse dans un magasin de lingerie à Buenos Aires et se trouve mal dans sa peau à cause de son embonpoint ; les deux autres, surnommées Mao et Lénine, sont des punkettes lesbiennes qui vivent de petite délinquance. Dans un début de film très marqué Nouvelle Vague, Mao tombe amoureuse de Maria et l’enlève avec la complicité de Lénine. Le trio entame alors un périple incertain sur la route 9, à bord d’un taxi volé. Mais ce road-movie ne représente que la première partie du film, à laquelle succède une parenthèse enchantée lorsque le trio échoue à Rosario, dans la maison d’une vieille tante de Lénine, qui héberge un étudiant en biologie et une artiste peintre. Au sein de cette petite communauté, les deux punkettes vont progressivement accepter de révéler leur part d’humanité. Le monteur du film est Benjamin Avila, qui est ensuite passé à la réalisation avec Enfance clandestine (Infancia clandestina), sorti en 2011 et qui a obtenu plusieurs prix Sud. Le film a été tourné en 35 mm en noir et blanc et l’image offre un grain marqué qui rappelle Mundo Grua de Pablo Trapero. Le tournage, effectué le week-end pour convenir aux acteurs (membres d’une troupe de théâtre), s’est étalé sur plusieurs mois. Tan de repente a été récompensé par le Léopard d’argent au festival de Locarno et par le prix Arte au festival des 3 Continents de Nantes.

L’œil invisible (La mirada invisible) 2010

L’œil invisible est le troisième long-métrage de Diego Lerman, inspiré de Ciencias Morales, un roman de Martin Kohan. Le cadre est un prestigieux lycée argentin, le Colegio Nacional de Buenos Aires et l’époque est celle qui précède immédiatement la guerre des Malouines en 1982, prélude à l’effondrement de la dictature. Une discipline toute militaire règne dans l’établissement qui accueille des jeunes gens et des jeunes filles des classes supérieures.  Maria Teresa Cornejo (interprétée par Julieta Zylberberg) est une surveillante chargée de faire respecter l’ordre chez les élèves par une vigilance permanente (d’où le titre). C’est une jeune fille introvertie de 23 ans, stricte et austère, qui vit dans un modeste appartement avec sa mère et sa grand-mère. Mais ce puritanisme de façade dissimule un manque de présence masculine et une profonde frustration sexuelle qui la poussent à la fois vers le surveillant général du collège, Carlos Biasotto (joué par Osmar Nuñez), un fervent partisan de la dictature et vers un jeune élève sur lequel elle fait une fixation. La conclusion du film fournit une autre clef de lecture, faisant de Maria une figure allégorique du peuple argentin, victime d’un pouvoir féroce à qui il s’est imprudemment livré. N’ayant pu tourner dans le véritable lycée, Lerman a fait réaliser un bâtiment chimérique à l’architecture écrasante et inhumaine à partir de plusieurs lieux comme le Collège Bernasconi, le Collège San Jose, le Palais du Congrès et le Collège salésien Don Bosco. L’image joue sur les contrastes entre un intérieur géométrique, quasiment en noir et blanc, et un extérieur plus coloré et végétalisé. Le grain prononcé rappelle la photographie de Tan de repente. La plus grande partie du film est tournée caméra à l’épaule. Le directeur de la photographie est l’espagnol Alvaro Gutierrez. Le film a été récompensé des Condors d’argent du meilleur scénario et de la meilleure actrice et a reçu le prix spécial du jury au festival de La Havane en 2010.

Notre enfant (Una especie de familia) 2017

Diego Lerman abord ici le thème de la « gestation pour autrui ». Son héroïne, Malena (l’actrice espagnole Barbara Lennie), est une femme médecin en manque de maternité, qui se rend en province chercher le bébé qu’elle veut adopter et qu’une femme d’un milieu modeste (Marcela) a accepté de lui laisser, moyennent finances. Mais les parents biologiques vont essayer de faire monter les enchères et les obstacles s’accumulent pour Malena, cependant prête à tout pour assouvir son besoin de maternité.

Mariano Llinas (né en 1975)

Mariano Llinas a fait des études à la faculté de cinéma de Buenos Aires, où il enseigne désormais. Il s’est fait une spécialité des films-fleuves : Historias extraordinarias, sorti en 2008, durait 245 minutes ; il était diffusé en trois parties. Sa dernière réalisation, La flor, bat largement ce record avec 845 minutes ; il est divisé en six parties.

La flor 2018

Extrêmement ambitieux et foisonnant, l’opus baroque de Mariano Llinas est composé de six histoires relevant d’à peu près tous les genres, ayant pour point commun quatre personnages féminins interprétés par Elisa Carricajo,  Valeria Correa (vue dans El estudiante de Mitre), Pilar Gamboa et Laura Paredes (vue dans Viola de Piñeiro), quatre actrices formant le collectif théâtral Piel de Lava. C’est aussi, à travers de nombreuses références, un hommage vibrant au cinéma. Il a reçu le prix du meilleur film et le prix de la meilleure actrice (octroyé collectivement aux 4 actrices) au BAFICI en 2018.

Santiago Loza (né en 1971)

Breve historia del planeta verde 2018

Lointainement inspiré de l’intrigue d’E.T., le film conte le périple en Patagonie de trois marginaux (une transsexuelle, un gay et une jeune fille mal dans sa peau) qui se sont donné pour mission de ramener le corps d’un alien sur le lieu de son atterrissage. Le film, dont le chef opérateur est Eduardo Crespo, flirte délibérément avec le genre kitsch. Il a reçu un Teddy award (récompense queer) au festival de Berlin en 2019.

Francisco Marquez (né en 1981) et Andrea Testa (née en 1987)

La larga noche de Francisco Sanctis 2016

Adapté d’un roman policier d’Humberto Constantini, le film de Marquez et Testa revient sur la dictature argentine et interpelle le spectateur sur ses propres limites, en l’incitant inévitablement à se substituer au personnage central du film, Francisco Sanctis. Ce dernier, interprété par Diego Velazquez, est un père de famille sans histoire qui, un jour de novembre 1977, reçoit un coup de téléphone d’une ancienne amie de l’université. Celle-ci cherche en réalité à l’avertir de l’arrestation imminente de deux personnes par les nervis de la dictature. Arraché à la zone de confort dans laquelle, comme la majorité des Argentins, il se tenait prudemment jusqu’à présent, Francisco va devoir faire un choix entre sa propre sécurité et son éthique. Le film a été présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard et a suscité des réactions diverses, certains lui reprochant la faiblesse de la mise en scène, qui se résume essentiellement à des séquences de l’errance nocturne du héros dans les rues de Buenos Aires.

Les deux réalisateurs ne cachent pas la portée politique qu’ils ont voulu donner à leur film, en interpellant la majorité silencieuse. Dans le même esprit militant, Francisco Marquez (diplômé de l’ENERC, enseignant à l’INCAA) avait réalisé auparavant un premier long-métrage, Después de Sarmiento, un documentaire sur le système éducatif argentin qui avait été présenté en compétition au festival Cinelatino de Toulouse en 2015.

Lucrecia Martel (née en 1966)

La Cienaga 2001

L’été austral touche à sa fin, dans les montagnes du nord-ouest de l’Argentine, près de la frontière bolivienne ; la chaleur est étouffante malgré les averses tropicales, adultes comme enfants de tous âges se rassemblent autour de la piscine d’une grande propriété rurale dans laquelle Mecha, la maîtresse de maison (jouée par Graciela Borges), sombre dans l’alcoolisme et houspille tant ses domestiques, d’origine amérindienne, que son mari. Sa cousine Tali (interprétée par Mercedes Moran) lui rend visite avec ses propres enfants. Tous ces gens se croisent, se confrontent parfois au monde extérieur, à l’occasion de visites chez le médecin, du carnaval au village ou de parties de chasse enfantines en montagne et de baignades au barrage en compagnie de jeunes indigènes qu’ils méprisent. Les tensions entre les êtres, les attitudes ambigües suggérant des pulsions refoulées, la saleté des vêtements, les difformités physiques et les blessures des corps entretiennent un climat de torpeur malsaine. Les hommes sont falots, seules les femmes s’expriment –souvent par le biais du téléphone- et la lucidité est plutôt du côté des adolescents dont la camera adopte souvent le point de vue. Les chiens, omniprésents, circulent librement au milieu de ce petit monde, faisant planer une menace fantasmée ; El Perro, c’est aussi le surnom du petit ami d’Isabel, la jeune domestique de Mecha, qui sera amenée à quitter la maison.

On a pu voir dans ce film, sans réelle trame narrative (de l’aveu même de la réalisatrice), une allégorie du marasme économique et social argentin.  « Ici, rien ne marche » disent successivement Tali puis Mecha : la piscine est boueuse, l’électricité fonctionne par intermittence, les séquences où les protagonistes sont prostrés pêle-mêle sur des lits ponctuent tout le film. Le titre lui-même est chargé de sens : La Cienaga est un village de la province de Salta mais le mot signifie également marécage en espagnol,  comme celui dans lequel un veau s’enlise dans une des premières séquences du film. Un autre motif revient tout au long du film sous forme de reportages télévisés, celui de l’apparition de la Vierge à la jeune fille d’un village ; on pense à la scène de la pseudo-apparition mariale dans La Dolce Vita de Fellini mais ici le ton est neutre et ne montre pas d’intention satirique. A la scène remarquable ouvrant le film (le ballet des chaises et des corps flasques au bord de la piscine) répond la séquence finale, où les adultes ont déserté la piscine après un drame et sont remplacé par deux de leurs enfants désabusées : le miracle n’a pas eu lieu. Le directeur de la photo est Hugo Colace, qui a également travaillé sur des films de Carlos Sorin et de Daniel Burman ; il a obtenu avec ce film le Condor 2002 de la meilleure photographie, Lucrecia Martel recevant le Condor du meilleur premier film.

La Nina santa 2003

Comme dans La Cienaga et La femme sans tête, Lucrecia Martel nous montre deux mondes parallèles qui ne se comprennent pas : celui des adolescents et celui des adultes. Le premier est représenté par des jeunes filles fréquentant un groupe de réflexion catholique penchant vers le mysticisme, parmi lesquelles Josefina, une ado un peu perverse (Julieta Zylberberg, l’actrice de L’œil invisible) et son amie Amalia, qui entretiennent des rapports ambigus. Amalia est la fille d’Helena, une femme divorcée qui dirige vaille que vaille un hôtel thermal déclinant à Rosario de la Frontera, près de Salta, aux côtés de son frère Freddy et de la gérante Mirta, une femme sèche et autoritaire. Un jour, un groupe de médecins envahit l’hôtel pour y organiser pendant quelques jours un congrès médical ; parmi eux, le docteur Jano, qui va susciter –de façon irréfléchie- un désir trouble chez Amalia, tandis qu’un jeu amoureux se dessine parallèlement entre le médecin (joué par Carlos Belloso) et Helena (interprétée par Mercedes Moran). Car c’est bien le désir charnel qui est le thème central du film. On retrouve l’ambiance délétère des films de Lucrecia Martel : le bassin thermal rappelle la piscine de La Cienaga ; l’inceste entre frère et sœur et l’homosexualité féminine sont évoqués par petites touches ; la caméra joue avec les miroirs et s’attarde sur les lits, où les personnages se livrent à l’abandon ; les très gros plans sur les visages soulignent les troubles intérieurs. Le film est produit par les frères Almodovar ; Felix Monti a assuré la direction de la photographie. La bande musicale utilise le thérémine, instrument électronique qui apparait à plusieurs reprises dans le film et dont les sonorités étranges viennent en contrepoint des acouphènes dont souffre Helena, en même temps qu’elles suggèrent l’appel divin qu’attendent les jeunes filles. Tous les sens sont d’ailleurs convoqués dans les films de Lucrecia Martel, y compris les odeurs, ce qui justifie sans doute la récurrence étrange de cette femme de chambre qui vaporise furieusement tous les recoins de l’hôtel.

La femme sans tête (La mujer sin cabeza) 2008

Veronica est une dentiste quinquagénaire qui habite une maison confortable avec son mari Marcos, entourée de jeunes domestiques amérindiens, dans le nord de l’Argentine, à Salta (ville dont est originaire Lucrecia Martel) ; on reconnaît ici la trame de La cienaga.  Un beau jour, juste avant qu’une violente averse ne se déclenche, Veronica, distraite un instant par son portable, heurte un obstacle en roulant sur une route déserte longeant un canal asséché. Refusant d’affronter une réalité potentiellement terrible, elle repart sans s’assurer de la nature de l’obstacle. La culpabilité la ronge cependant et elle commence à perdre la tête, malgré l’attention de ses proches, qui cherchent à la persuader qu’elle n’a tué qu’un chien. En dépit des apparences, il ne s’agit nullement d’un thriller mais d’un drame intimiste à l’atmosphère subtilement décalée -malgré les vagues échos de Mulholland Drive, on est quand même loin de David Lynch- filmé curieusement en cinémascope, où se succèdent des plans très travaillés tant sur le plan du cadrage que de la lumière (malgré quelques faux raccords). Deux mondes se superposent : au premier plan une classe sociale plutôt aisée, suivant ses codes et ses rites, en arrière-plan une classe populaire affairée à survivre en servant la précédente ; la confrontation personnelle entre ces deux mondes ne se produit réellement que sous une forme traumatique –l’accident supposé- ou parfois de façon plus insidieuse, comme l’homosexualité suggérée qui lie la nièce de Veronica et une jeune employée de l’hôpital. Cette homosexualité discrète –comme l’inceste, également insinuée dans le film- est présente dans tous les films de la réalisatrice depuis La cienaga. L’interprète principale du film, Maria Onetto -souvent filmée de profil, introduisant ainsi une distanciation par rapport à l’action- doit composer avec un personnage mutique et incohérent, censé symboliser l’attitude de la bourgeoisie argentine mais la métaphore politique exposée par la réalisatrice et saluée par les critiques apparait comme un poncif trop souvent évoqué qui peine à convaincre, dans un scénario où le souci d’accumuler symboles et références prime sur le travail de l’intrigue, qui demeure inachevée : le film ne se termine pas, il s’interrompt, ce qui lui valut un accueil du public très frais au festival de Cannes. Il reste heureusement les qualités esthétiques du film ; la directrice de la photo est l’uruguayenne Barbara Alvarez ; le travail sur le son (dirigé par Guido Berenblum, ASA, primé pour son travail sur Zama)  est également remarquable. Le film a été produit par les frères Almodovar. Il a reçu le prix Sud du meilleur film en 2008.

Zama 2017

Drame historique, le film est une adaptation du roman éponyme d’Antonio di Benedetto paru en 1956. Au XVIIIe s. don Diego, un fonctionnaire royal espagnol, se morfond dans son poste de corregidor à Zarma, au bord d’un fleuve tropical dans le nord de l’Argentine, en espérant vainement son transfert. Au milieu d’une nature bruyante et hostile et d’indiens au mieux indifférents, le maintien d’un semblant de civilisation et d’un ordre absurde apparait comme baroque et totalement dérisoire ; en témoignent les embrassades auxquelles se livrent en permanence les membres de la petite communauté, les perruques de guingois des hommes et des femmes, les livrées incomplètes des serviteurs noirs, qui ne portent pas de culottes. Les peurs (des bandits, des  maladies, de l’inconnu) se cristallisent dans les superstitions que la fantasmagorie des images fait partager au spectateur. Le cynisme des hauts fonctionnaires royaux, la bêtise et l’avidité des colons et des trafiquants, l’hostilité des Indiens et la cruauté des hors-la-loi, de plus en plus affirmés au long du film, achèvent le tableau de ce qui semble un paradis mais est un enfer pour l’homme et va conduire don Diego à la déchéance.

Bien que d’un genre très différent de ses trois précédents films, on retrouve dans Zama certains effets stylistiques propres à Lucrecia Martel : sa prédilection pour les espaces de transition que sont les portes et les fenêtres, que les personnages de Zama franchissent toujours de façon inhabituelle, en se baissant ou en sautant. L’acteur principal joue le rôle du président mexicain dans El Presidente de Mitre. Le directeur de la photographie du film, le portugais Rui Poças, a travaillé sur les films de son compatriote Joao Pedro Rodrigues (dont L’ornithologue). Le tournage de Zama a fait l’objet d’un petit ouvrage de Selva Almada : El mono en el remolino, paru en 2017 chez Literatura Random House. Le travail effectué sur le son par Guido Berenblum (récompensé par le prix Platines 2018) est illustré par l’utilisation récurrente de l’illusion auditive connue sous le nom de « son de Shepard ». Le film a été récompensé par plusieurs prix au festival Condor de Plata de 2018 : meilleur film, meilleur réalisateur (trice), meilleure photographie, meilleur son, meilleur costume, meilleur scénario adapté, meilleur design artistique, meilleur maquillage.

Pour en savoir plus :

Diego Martinez Vignatti (né en 1971)

La chanteuse de tango (La cantante de tango) 2008

Le tango est un des thèmes les plus fréquents du cinéma argentin. Son origine et ses connotations tragiques et nostalgiques conviennent particulièrement aux thèmes traités par le film de Vignatti, l’amour perdu et l’exil. Le film est largement construit autour du personnage principal, interprété par la propre épouse du réalisateur, Eugenia Ramirez Miori. Le réalisateur, qui est aussi chef opérateur, vit en Belgique où il a fait ses études de cinéma. Il avait précédemment réalisé un documentaire sur le tango argentin (Nosotros, 2003). Il a réalisé par la suite La Terra Roja (2015) qui dénonce la destruction de la forêt amazonienne et de ses habitants par la soif du profit.

Santiago Mitre (né en 1980)

El estudiante ou récit d’une jeunesse révoltée (El estudiante) 2011

Le sous-titre français est totalement hors-sujet : bien loin du film militant, El estudiante décrit le parcours d’un étudiant argentin sans projet d’avenir bien défini, débarquant à l’Université de Buenos Aires depuis sa province (Ameghino, à 400 km de la capitale, comme l’interprète du rôle) pour suivre sans grande conviction des cours de sciences politiques. Au fil de ses conquêtes amoureuses, il va pénétrer dans le microcosme des militants étudiants, en particulier grâce à une jeune maître-assistante (Romina Paula, qui fait une brève apparition dans Medianeras de Taretto) qui va lui ouvrir les portes de ce monde verbeux. Notre jeune Rastignac, peu loquace mais efficace, va graduellement intégrer les rouages subtils de la politique et gravir discrètement les échelons au sein de son parti, sans grands scrupules, laissant derrière lui ses petites amies aussi bien que ses camarades. Avec une certaine dose de cynisme, il va rapidement nager comme un poisson dans l’océan de ces groupuscules politiques rivaux, agités par des ambitions personnelles et  auxquels le spectateur français ne comprend pas grand-chose, ne retenant que le souvenir encore incroyablement présent du péronisme. Mais au jeu de la manipulation, on finit toujours par trouver plus retors que soi. Mitre montre dans ce premier long-métrage sa fascination pour les jeux de pouvoir, qu’on retrouve quelques années plus tard dans El presidente. El estudiante a reçu la Catalina de oro du meilleur film au festival de Carthagène en 2012 tandis qu’Esteban Lamothe y était récompensé comme meilleur acteur.

El Presidente (La Cordillera) 2017

Ce film se présente comme un huis-clos réunissant, à l’occasion d’un sommet international consacré à la gestion des ressources pétrolières, les chefs d’état du continent sud-américain qui s’enferment dans un luxueux hôtel perdu dans les montagnes enneigées de la cordillère des Andes (le film a été tourné à Valle Nevado au Chili et à San Carlos de Bariloche en Argentine). Chacun des présidents présents cherche à jouer son propre jeu -on reconnait aisément les modèles qui ont inspiré les présidents brésilien et mexicain ainsi que la présidente chilienne- et à bâtir des alliances, tandis qu’un émissaire états-unien vient s’immiscer de façon machiavélique dans ce subtil jeu de tractations. Le président argentin, qui est le héros du film, se présente comme un homme d’état intègre mais sa fille se retrouve impliquée par son ex-mari dans une affaire de corruption (ce qui n’est pas sans rappeler le « Nueragate » chilien de 2015). Traitée pour dépression, elle semble porter un lourd secret mettant en cause son père. Au-delà du difficile rapport père-fille, qu’on retrouve dans d’autres films argentins, comme Jours de pêche en Patagonie, le thème central est celui du pouvoir et des dilemmes moraux qu’il suscite chez ceux qui l’exercent. Le rôle féminin principal est tenu par la compagne de Santiago Mitre, Dolores Fonzi, qui tenait le rôle-titre dans le précédent film de Mitre, Paulina. On retrouve deux des acteurs  du film Les Nouveaux sauvages de Szifron : Ricardo Darin, acteur de premier plan du cinéma argentin, qui interprète le personnage central, et Erica Rivas ; les deux ont joué ensemble au théâtre dans Les scènes de la vie conjugale sous la direction de Norma Aleandro en 2015. Le rôle du psychiatre est joué par l’acteur chilien Alfredo Castro Gomez, qu’on retrouve au générique du film chilien El club. Christian Slater interprète le sous-secrétaire d’état yankee. Le scénario a été co-écrit par Mariano Llinas, qui est aussi réalisateur (Flor). Santiago Mitre a, de son côté, collaboré au scénario de plusieurs films de Pablo Trapero.

Alejo Moguillansky (né en 1978)

Moguillansky a été formé à la FUC. Il est co-fondateur du collectif El Pampero Cine, avec Mariano Llinas (La Flor), Laura Citarella et Agustin Mendilaharzu.

La vendodora de fosforos 2017

Le film se base sur la venue à Buenos Aires du compositeur allemand Helmutt Lachenmann (qui joue son propre rôle) pour présenter au théâtre Colon Das Mädchen mit den Schwefehölzern, sa version contemporaine de « La petite fille aux allumettes ». A partir de cet évènement réel, Moguillansky déroule en parallèle plusieurs histoires déclinant le thème du conte, de façon parfois déroutante et en exploitant l’arrière-plan politique. http://www.cinelatino.fr/actu/otra-mirada-alejo-moguillansky ; https://blogs.mediapart.fr/edition/cinemas-damerique-latine-et-plus-encore/article/120519/entretien-avec-alejo-moguillansky-cineaste-cofondateur-del-p

Rodrigo Moreno (né en 1972)

Rodrigo Moreno a étudié à l’Universidad del Cine (FUC) de Buenos Aires, où il enseigne maintenant. Il a réalisé son premier court-métrage en 1993.

Le garde du corps (El custodio) 2006

Julio Chavez interprète Ruben, le garde du corps d’un ministre qu’il suit discrètement dans tous ses faits et gestes, faisant parfois, sur la demande de son patron, preuve de ses talents de dessinateur. Témoin muet des petites turpitudes du ministre et de sa famille comme des décisions engageant l’avenir du pays, il fait preuve d’un professionnalisme et d’une discrétion sans faille. Se plaçant à contrepied de l’image romantique et glamour que suscite la représentation du métier exercé par Ruben,  le réalisateur choisit de mettre l’accent sur l’effacement et la solitude se son héros, que l’on suit dans les aspects les plus triviaux de sa vie quotidienne : la toilette matinale, l’essayage d’un gilet pare-balles montré comme un banal instant de shopping, la préparation d’un licuado de platano, un déjeuner en famille au restaurant qui tourne au fiasco. La directrice de la photographie, Barbara Alvarez, a opportunément concentré son travail –comme dans La femme sans tête– sur le cadrage, plaçant Ruben en limite du cadre et sur un plan détaché de celui où se déroule l’action. Les vues zénithales qui parsèment le film accentuent la sensation de distanciation. Le rôle du ministre est joué par Osmar Nuñez, qu’on a pu voir dans L’œil invisible de Diego Lerman. https://sacrecinema.com/2015/04/28/el-custodio-le-garde-du-corps-rodrigo-moreno-2007/

Milagros Mumenthaler (née en 1977)

Milagros Mumenthaler est née à Buenos Aires mais a vécu son enfance à Genève. Elle a fait ses études à l’Universidad del Cine de Buenos Aires.

Trois sœurs (Aprir puertas y ventanas) 2011

Trois sœurs de caractère très différent cohabitent dans la grande maison familiale qui appartenait à leur grand-mère, Alicia Tauss, une professeure d’université récemment décédée dont l’absence se fait sentir à travers des détails banaux. Des parents on ne saura rien, sinon qu’ils ont disparu. Dans la moiteur de l’été, l’ennui transpire de leur quotidien, entre les repas pris de façon désorganisée et sans plaisir, la télévision et l’exécution aléatoire des menues tâches quotidiennes. L’aînée, Marina, tient tant bien que mal les rênes de ce petit domaine, ce qui provoque frictions et jalousies avec Violeta, la plus rebelle et Sofia, la plus délurée. Les trois jeunes filles sont étudiantes à l’université mais le monde extérieur ne pénètre dans ce microcosme que par les bribes de brèves conversations. La seule présence masculine est celle d’un jeune voisin, leur locataire Francisco, qui vit en marge de leur petit monde mais alimente leurs fantasmes. Les tensions et les malaises, alimentés par les petits secrets de chacune et leur laconisme, s’accumulent jusqu’à ce que survienne la crise.

Benjamin Naishtat (né en 1986)

Benjamin Naishtat a fait des études de cinéma à la FUC à Buenos Aires et au Fresnoy -le Studio national des arts contemporains de Tourcoing, qui a produit deux de ses courts-métrages : El juego (2010) et Historia del mal (2011).

Histoire de la peur (Historia del miedo) 2013

C’est le premier long-métrage de Naishtat ; il a été co-produit par Le Fresnoy. Les premières images du film nous montrent, depuis le ciel, un écosystème en mosaïque aux portes de la ville, où se côtoient parc résidentiel cloturé, terrains vagues et habitats précaires. Ainsi que dans la Cienaga ou encore La femme sans tête auxquels ce film fait souvent penser, certains personnages circulent d’un milieu à l’autre, comme Pola (Jonathan da Rosa) qui est agent d’entretien dans le parc, sa mère Teresa qui est femme de ménage et sa petite amie Tati (Tatiana Gimenez) qui est bonne dans une famille bourgeoise habitant le parc. Des incidents mineurs (déclenchement intempestif d’alarme, pannes d’ascenseur, feux sauvages, dépôts d’immondices, jets de boue sur le véhicule du vigile, chiens errants, coupures d’électricité) installent un sentiment d’insécurité grandissant et de malaise qu’accentuent la bande-son, qui met l’accent sur les bruits agressifs (survol d’hélicoptère, alarme, aspirateur, débroussailleuse, engins de chantier, pétards,…) et les images de fusillades, seulement vues à travers un écran de télévision et dont on ignore où elles se sont produites. Le réalisateur se garde bien d’ailleurs de montrer les agresseurs par lesquels les habitants des maisons protégées se sentent menacés durant la nuit, au point que le spectateur, à l’instar des personnages, ressent la menace plus qu’il ne la perçoit : éclats de voix lointains, claquements de pétards, silhouettes entrevues dans la brume. Claudia Cantero et César Bordon, qui jouent tous deux dans La femme sans tête, sont également présents dans ce film. La direction de la photographie revient à Soledad Rodriguez, qui a travaillé –entre autres- sur El estudiante de Mitre.

Rojo 2018

Ce thriller se déroule en 1975, dans un contexte de crise politique entre la mort de Peron et le coup d’état militaire installant la dictature de Videla. Un avocat plutôt médiocre, Claudio (joué par Dario Grandinetti), est agressé dans un restaurant par un client irascible et l’altercation se conclut par la mort de ce dernier. Pour d’obscures raisons l’avocat charge le corps dans sa voiture et l’abandonne dans le désert. Mais le défunt s’avère être un fils de bonne famille dont les proches engagent un détective chilien nommé Sinclair (joué par Alfredo Castro, l’acteur fétiche de Pablo Larrain) pour enquêter sur la disparition. Le thème du film est la lâcheté qui va permettre l’installation durable de la dictature, dans une atmosphère de pourrissement généralisé propre à l’éclosion de tous les régimes autoritaires ; en témoigne la facilité avec laquelle Claudio se laisse embarquer dans l’appropriation d’une maison dont les habitants, une famille de syndicalistes, ont été arrachés par la police et que les voisins ont consciencieusement pillée. Cette notion de culpabilité collective imprègne la plupart des films réalisés sur cette période. L’éclipse à laquelle assistent les protagonistes du film à Mar del Plata et qui les plonge dans un rouge de sang, préfigure l’obscurité qui va s’abattre sur le pays pour huit années. Dans ce crépuscule de l’esprit, la seule lueur d’humanité est portée par la professeure de danse de Paula, la fille de Claudio, qui s’évertue à mettre en scène la Danse des sauvages de l’opéra-ballet de Rameau, les Indes galantes. L’actrice qui interprète Paula est réellement la fille de Dario Grandinetti. Le film a été tourné à Mar del Plata et dans la province de Cordoba, à Arias, Dean Funes et San Jose de las Salinas. L’usage du zoom, du ralenti et des filtres colorés s’applique à recréer l’atmosphère des années 1970.

Luis Ortega (né en 1980)

Luis Ortega est né dans une famille d’artistes : son père était chanteur de variétés et sa mère actrice, ses frères et sœur sont chanteurs ou producteur. Il a suivi des études de cinéma à l’Universidad del Cine de Buenos Aires.

L’ange (El Angel) 2018

L’ange, c’est Carlos, alias Carlito, un adolescent au visage de chérubin et à la grâce féminine,  aimé de ses parents, un couple banal de la classe moyenne argentine. Mais, à la vie scolaire, le blondinet préfère une activité dans laquelle il excelle et qui satisfait tous ses besoins matériels : le cambriolage. Attiré par le charme viril d’un de ses condisciples de lycée, Ramon, qui est le fils d’un couple de truands, il entre dans cette famille et fait passer leur association de malfaiteurs à la vitesse supérieure. Initié au pistolet par le père de Ramon, Carlos se prend de passion pour les armes et n’hésite pas à s’en servir, avec la même nonchalance qu’il met dans tous ses actes.

L’histoire est transposée d’un fait divers des années 1970, l’itinéraire criminel de Carlos Robledo Puch, surnommé par la presse argentine « el Angel negro », « el Angel de la muerte » ou encore « el Chacal » et de son complice Jorge Ibanez, reconnus coupables en 1972 de multiples meurtres, vols et agressions.

On pense à l’affaire Puccio (de dix ans plus récente), qui a inspiré à la fois le film de Pablo Trapero « El Clan » (sur lequel a travaillé le chef opérateur de « L’ange », Julian Apezteguia) et la série de Telefe « Historia de un clan », dans laquelle jouait Chino Darin (qui interprète Ramon dans « L’ange »). On pense aussi au tueur de « Tony Manero », avec qui Carlos partage le même narcissisme et la même absence d’empathie.  Mais on pense surtout au roman-vérité de Truman Capote, « De sang-froid » (In Cold Blood) qui décrit l’itinéraire criminel d’un couple de jeunes truands, sur fond d’homosexualité latente et qui incite à s’interroger sur les racines du Mal : est-il inné chez l’Homme et ordinairement repoussé par les règles sociales ou naît-il au contraire d’une déviance provoquée par un quelconque dérèglement ? Le rôle de Carlos est tenu par Lorenzo Ferro ; Mercedes Moran (interprète d’ Agnus Dei ) joue le rôle de la mère de Ramon tandis que la mère de Carlos est interprétée par Cecilia Roth, une des actrices favorites d’Almodovar -celui-ci est producteur du film. Chino Darin, alias Ricardo Darin Junior, est le fils du plus célèbre acteur argentin. Le film est servi par une très belle image : quelques scènes d’intérieur, magnifiquement éclairées, sont particulièrement remarquables. La lenteur du rythme prend le contrepied du thriller traditionnel et traduit la nonchalance du principal protagoniste du film, que ne renieraient pas les personnages de Tarantino. L’ange a obtenu dix Condors de plata en 2019, dont celui du meilleur film.

Santiago Palavecino (né en 1974)

Algunas chicas 2013

Thriller psychologique traité à la limite du fantastique, Algunas chicas est adapté d’une nouvelle de l’écrivain italien Cesare Pavese (Tra donne sole), dont Antonioni avait tiré Femmes entre elles (Le amiche) en 1955. Le film s’intéresse à un groupe de femmes formé par Celina, une chirurgienne porteña venue se ressourcer à la campagne chez une amie, Paula, la belle-fille de son hôte, au tempérament suicidaire, et les deux amies de cette dernière, Nené et Maria. Le directeur de la photographie est Fernando Lockett, qui a travaillé sur Viola.

Matias Piñeiro (né en 1982)

Matias Piñeiro a fait des études de cinéma à l’Université de Buenos Aires ; il a vécu quelques années à New York. Il est surtout connu pour ses « Shakespeariadas », des films inspirés de comédies de Shakespeare, inaugurés en 2011 avec Rosalinda. Le musée du Jeu de Paume à Paris a consacré, du 2 au 21 novembre 2017, une rétrospective à ce réalisateur, titrée « l’amour du jeu » (http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=2944)

Viola 2012

Viola est basé sur la Nuit des rois du dramaturge anglais. Une femme, Viola, vend des DVD pirates à Buenos Aires ; elle croise la route de comédiens qui répètent une scène de la pièce de Shakespeare. Le cinéaste s’attache à mettre en lumière les interactions entre le jeu des acteurs et leur environnement. https://shakespeareargentina.org/entrevista-al-cineasta-argentino-matias-pineiro/ ; https://talentsba.ucine.edu.ar/2017/08/08/shakespeare-revisitado-recordando-entrevista-matias-pineiro-2011/ ; http://www.rfi.fr/es/cultura/20171113-el-lugar-de-las-mujeres-en-shakespeare-es-el-de-la-inteligencia

Lucia Puenzo (née en 1976)

Lucia Puenzo est une romancière (Wakolda, L’enfant poisson, La fureur de la langouste, La malédiction de Jacinta, Invisibles,…) et une réalisatrice talentueuse qui a porté plusieurs de ses romans à l’écran.

XXY 2007

Alex (interprétée par Inès Efron) est une adolescente de 15 ans, fille d’un couple de biologistes marins argentins (joués par Ricardo Darin et Valeria Bertuccelli) qui se sont installés en Uruguay pour fuir le regard hostile ou compatissant de leur entourage. Car Alex n’est pas une jeune fille ordinaire : née hermaphrodite, elle suscite chez les garçons de son âge de la fascination ou de la répulsion et parfois un mélange des deux sentiments. Parvenue à un âge où l’activité hormonale peut faire prévaloir l’un ou l’autre sexe et au moment où les pulsions sexuelles se font plus fortes, Inès est soumise aux pressions contradictoires de sa famille et de son entourage concernant un choix qu’elle refuse, celui de son sexe. Le titre évoque le syndrome de Klinefelter, anomalie chromosomique qui confère à l’individu masculin qui en est atteint des caractères sexuels féminins.

Le film a été tourné en partie à Piriapolis, à l’est de Montevideo. La photographie a été dirigée par Natasha Braier, la chef opératrice de Casse-tête chinois et de Neon Demon. Ce premier long-de Lucia Puenzo a été récompensé de plusieurs prix, dont le Goya du meilleur film étranger en langue espagnole en 2008, tandis qu’Inés Efron recevait la Catalina de oro de la meilleure actrice au festival de Carthagène. XXY a été produit par Historias Cinematograficas.

Pour en savoir plus :

Le médecin de famille (Wakolda) 2013

Le troisième film de Lucia Puenzo est adapté du roman éponyme de la réalisatrice, Wakolda. Il est intéressant de noter que cette auto-adaptation est fidèle, hormis l’épisode de l’échange de la poupée mapuche, qui justifie le titre du roman et du film mais qui est absent de ce dernier ; une fois n’est pas coutume, le titre français est plus approprié. Le film est bâti comme un thriller –même si  la clef de l’intrigue ne laisse guère de doute au spectateur. En 1960, Helmut Gregor, un médecin allemand récemment arrivé en Argentine rencontre, sur la route du Sud, une famille qui va reprendre la direction d’une pension de famille dans la région des lacs en Patagonie. Ce médecin, qui dit se livrer à des recherches génétiques sur les animaux, se prend d’intérêt pour Lilith, la deuxième des trois enfants, une fillette de 12 ans qui souffre d’un retard de croissance. Avec la complicité de la mère, Eva, une jeune femme germanophone qui a étudié après-guerre dans une école allemande de Bariloche, le médecin va s’installer dans la pension et soumettre Lilith, qui est fascinée par le charisme de cet homme, à un traitement médical à base d’injection d’hormones de croissance. Pour se gagner les faveurs du père, qui se montre méfiant et hostile, le médecin va financer la production en série des poupées hyperréalistes qu’il fabrique. Lorsque la mère accouche de jumeaux, l’intérêt du médecin va s’intensifier et son immixtion dans la famille va s’accroître, en même temps que les tensions avec le père. Parallèlement, les soubresauts du monde extérieur viennent agiter les microcosmes que forment l’école allemande fréquentée par Lilith, nostalgique du IIIe Reich et la grande propriété voisine de la pension de famille, qui est gardée comme une forteresse. Bien que s’appuyant sur des personnages réels, Lucia Puenzo dépasse largement le cadre du récit historique romancé pour proposer un regard personnel sur la perversion de l’esprit humain, son rêve de démiurgie (présent à la fois chez le médecin et chez le père, créateur de poupées) et sur les rapports entre bourreau et victime. On notera le soin pris par Lucia Puenzo dans son travail d’écriture : le prénom d’Eva renvoie à la fois à la première femme de la Bible et à Eva Braun tandis que Lilith est une figure importante et ambigüe de la mythologie hébraïque, se substituant à Eve comme première femme mais sous un aspect démoniaque. Le rôle du médecin est joué par l’acteur germano-espagnol Alex Brendemühl, Eva est interprétée par l’actrice uruguayenne Natalia Oreiro, le rôle de l’agent du Mossad Nora Eldoc est tenu par Elena Roger.  Le directeur de la photographie est Nicolas Puenzo, un des frères de Lucia, qui a fondé avec un autre frère –Pepe Puenzo- la société de production Puenzo Hermanos. Le film a été tourné à l’hôtel Llao Llao de Colonia Suiza près de San Carlos de Bariloche, à Villa Traful, à Pilcaniyeu et à l’école de Piedra del Aquila. Il est également produit par Historias Cinematograficas. Il a représenté l’Argentine aux Oscars en 2014.

Lucia Puenzo a co-réalisé en 2019 avec son frère Nicolas, Sergio Castro et Marialy Rivas, pour la chaîne chilienne publique TVN, la minisérie La Jauria (La Meute en français), diffusée sur Arte entre le 24 juin et le 8 juillet 2021. Cette fiction chilienne, inspirée par un évènement qui s’est produit en avril 2018 à l’Université de Valdivia, réunit la fine fleur des cinémas chilien et argentin : Fabula (la société des frères Larrain) à la production, Amparo Noguera, Antonia Zegers, Alejandro Goic et Alfredo Castro (actrices et acteurs fétiches de Pablo Larrain), Mariana di Girolamo (révélée par Ema),  Daniela Vega (Une femme fantastique de Sebastian Lelio), Daniel Muñoz (qui interprète Allende dans le film de Miguel Littin : Allende en su laberinto), Paula Luchsinger (vue dans Ema), Lucas Balmaceda (actrice transgenre qui a fait sa transition par la suite et pris le nom de Lux Pascal), Nicolas Puenzo et Arnaldo Rodriguez à la direction de la photographie, Fernando Soldevila (ingénieur du son qui a travaillé sur Médecin de famille et XXY), Andres Goldstein et Daniel Tarrab (compositeurs qu’on retrouve au générique de ces deux mêmes films), etc.

Amparo Noguera, Antonia Zegers, Mariana di Girolamo et Daniela Vega, affiche de La Meute (La Jauria)

Martin Retjman (né en 1961)

Martin Rejtman a fait des études de cinéma à la New York University. Il est réalisateur et écrivain.

Rapado 1996

Rapado est le premier long-métrage de ce cinéaste, considéré comme un des initiateurs du deuxième « Nuevo Cine ». C’est l’histoire d’un adolescent, perturbé par le vol dont il a été victime et qui part à la dérive, avec une obsession : sa moto volée.

Sebastian Rotstein (né en 1973) et Federico Rotstein (né en 1983)

Terror 5 2016

Le film d’horreur argentin est peu connu en France (contrairement au cinéma mexicain). Celui-ci est d’ailleurs inédit dans les salles françaises. Il relate les évènements extraordinaires et pour partie surnaturels qui se produisent à Buenos Aires durant une seule nuit ; cette contrainte de la mise en scène est bien exploitée sur le plan visuel et fournit quelques plans remarquables (le directeur de la photographie est Marcelo Lavintman, le chef opérateur du film-culte Pizza, birra, faso et de El Otro). L’élément déclencheur de l’intrigue est le rendu du jugement du maire de la ville et de son équipe, des politiciens cyniques qui sont se rendu responsables d’un accident ayant causé la mort de plusieurs dizaines d’habitants. L’intention est donc clairement politique, celle de dénoncer une corruption qui mène inéluctablement au chaos, chaos d’où sortira peut-être un nouvel ordre si l’on se fie aux dernières images du film. Malheureusement un peu trop ambitieux, ce film mélange selon un montage assez confus quatre histoires annexes dont le lien avec le thème principal est plutôt lointain : la revanche d’élèves sadiques sur leurs professeurs, la persécution d’un adolescent timide et frustré par des jeunes affranchis déguisés façon Halloween, la relation compliquée d’un garçon et d’une fille qui vont devenir les héros involontaires d’un snuff movie, la traque de deux policiers. Ces intrigues secondaires sont prétextes à explorer les sous-thèmes du genre (zombies, goule, vengeance, tueurs en série, Halloween,…) et à rendre hommage à quelques classiques. A noter que le maquillage est l’œuvre de Nestor Burgos, un des experts de sa spécialité.

Ariel Rotter (né en 1973)

El Otro 2007

Un avocat quadragénaire, dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’il s’occupe occasionnellement de son père grabataire et qu’il fréquente une ophtalmologiste dont il va avoir un enfant, part en bus pour un court voyage d’affaires. Arrivé à destination, il va rejeter son identité pour en endosser d’autres et s’imaginer brièvement différentes vies simultanées, tout en n’interférant que brièvement et de façon anecdotique avec le monde qui l’entoure. On peut voir dans ce film un prototype du film existentialiste comme en a produit la Nouvelle Vague française. C’est le deuxième long-métrage d’Ariel Rotter ; il a reçu l’Ours d’argent à Berlin. Le directeur de la photographie est Marcelo Lavintman, qui officiait sur Pizza, birra, faso et qui enseigne au Centro de Investigacion Cinematografica de Buenos Aires. Malgré un départ d’intrigue séduisant, le scénario laisse le spectateur quelque peu sur sa faim. On ressent un manque de développement du propos et on ne parvient pas à s’intéresser au personnage central du film, dont la psychologie manque de consistance. L’acteur principal du film, Julio Chavez (interprète principal d’El Custodio de Rodrigo Moreno), donne à son personnage une inclinaison neurasthénique, quelque part entre Vincent Lindon et  Jean-Pierre Bacri. Dans un rôle secondaire, on remarquera Maria Onetto, l’interprète principale de La femme sans tête et de Puzzle, qui figure aussi au générique des Nouveaux sauvages.

Demian Rugna (né en 1979)

Terrified (Atterados) 2018

Représentant d’un genre assez rare dans le cinéma argentin, Terrified est  un film d’épouvante mettant en scène des zombies venant semer l’horreur dans un quartier de Buenos Aires. Le film est produit par Guillermo del Toro. En dépit de quelques scènes-choc, il a reçu un accueil mitigé auprès des amateurs du genre.

Estaban Sapir (né en 1967)

Telepolis (La Antena) 2007

Dans ce film d’anticipation en noir et blanc, le réalisateur, qui est aussi directeur de la photographie, dénonce l’abêtissement et l’assujettissement de la population par la diffusion d’images contrôlées par un régime dictatorial. Entre expressionisme et surréalisme, le travail de Sapir offre des parentés avec  des œuvres telles que Metropolis ou Brazil. Dans un tout autre genre, Sapir a réalisé en 2004 le film musical consacré à la tournée internationale de Shakira dite Tour of the Mongose.

Gaspar Scheuer (né en 1971)

Samurai 2012

Takeo est un jeune japonais qui émigre en Argentine avec toute sa famille à la fin du XIXe s. Son grand-père, qui fut un samouraï respecté, lui lègue avant de mourir son katana (sabre emblématique des samouraïs) mais aussi son idéal de vie, qui est en train de disparaitre. Takeo, contre l’avis de son père, part alors à la recherche d’un légendaire seigneur de guerre, Saigo Takamori, qui se serait réfugié en Argentine après l’échec de la guerre contre l’armée impériale japonaise. En chemin, il fait la rencontre d’un gaucho, Iginio Santos, surnommé Poncho Negro, un ancien soldat idéaliste qui a perdu ses deux bras dans la guerre de la Triple Alliance et qui va l’accompagner dans sa quête. Mais le costume que Takeo cherche à enfiler ne serait-il pas trop grand pour lui ? Au-delà du destin individuel, le réalisateur s’intéresse aussi à la question de la fidélité à un monde qui s’éteint inexorablement. Le personnage historique de Saigo Takamori, qui a mené la rébellion de Satsuma contre l’empereur japonais en 1877, a aussi inspiré Le dernier samourai d’Edward Zwick, avec Tom Cruise. Alejandro Awada (Jours de pêche en Patagonie) interprète le rôle de Poncho Negro. L’image est dirigée par Jorge Crespo, dont le travail sur le premier long métrage, en noir et blanc, de Gaspar Scheuer (El desierto negro, 2007) avait été remarqué.

Maximiliano Schonfeld (né en 1982)

Jesús López 2021

Le travail de Maximiliano Schonfeld, fils d’immigrant allemand, est fortement influencé par la dualité de ses origines et par le milieu dans lequel il passa son enfance, dans la province d’Entre Rios, proche de l’Uruguay ; son premier long-métrage, Germania, a été primé au festival de Hambourg. Jesús López est son troisième long-métrage ; il décrit le parcours d’un adolescent, Abel, qui remplace progressivement son cousin Jesús López, mort accidentellement dans une course motocycliste, jusqu’à l’incarner. Le rôle féminin principal est tenu par Sofia Palomino, qu’on a pu voir dans Meurs, monstre, meurs, d’Alejandro Fadel, dans Refugiado de Diego Lerman et dans Emilia de César Sodero. Le directeur de la photographie est Federico Lastra, qui était à la manœuvre sur La larga noche de Francisco Sanctis. Le film est présenté à la 30e édition du festival Biarritz Amérique Latine.

Emiliano Serra (né en 1975)

Cartero 2019

C’est le premier long-métrage de fiction de ce chef-monteur, inspiré de l’expérience vécue par Emiliano Serra dans les années 1990, lorsqu’il travaillait comme postier.

Natalia Smirnoff (née en 1972)

Puzzle (Rompecabezas) 2010

Maria Onetto, l’héroïne de La Femme sans tête, interprète Maria del Carmen, une mère au foyer de la classe moyenne de la banlieue de Buenos Aires, qui n’a guère de répit et dont la vie routinière autant que trépidante bascule lorsqu’elle reçoit un puzzle de 1000 pièces en cadeau pour son 50e anniversaire. Elle se prend de passion pour ce jeu pour lequel elle montre des dispositions  inattendues et s’y adonne en cachette de sa famille, comme si elle nourrissait un sentiment de culpabilité en prenant du temps pour elle-même. En répondant à une annonce pour une compétition de puzzle, elle va faire la rencontre d’un homme riche et cultivé, Roberto (Arturo Goetz, vu dans La sangre brota), qui devient son coach et lui ouvre aussi d’autres horizons que sa vie de ménagère insignifiante. Malgré quelques petits défauts (une caméra à l’épaule un peu brouillonne, censée rendre le rythme infernal des tâches ménagères, et des couleurs trop saturées), le film ne manque pas de charme et l’on se prend d’intérêt pour ces choses minuscules qui ont le charme des choses simples. La directrice de la photographie est Barbara Alvarez, qui était la chef op’ sur La femme sans tête et sur Le garde du corps. Puzzle a reçu la Catalina de oro du meilleur scénario au festival de Carthagène en 2011.

Julia Solomonoff (née en 1968)

Julia Solomonoff a étudié à l’ENERC puis à l’Université Columbia de New York, où elle dispense maintenant des cours. Elle a joué dans Historias minimas de Carlos Sorin.

Le dernier été de la Boyita (El ultimo verano de la Boyita) 2009

Luciana et Jorgelina sont sœurs. La première est sur le chemin de l’adolescence et cherche à affirmer une féminité qu’elle découvre ; la cadette, encore dans l’enfance, est fascinée par cette transformation et jalouse en même temps. C’est le début de l’été ; les deux fillettes passent leurs derniers instants de complicité dans la Boyita, une vieille caravane reléguée dans le jardin de la maison familiale. Puis Jorgelina part avec son père, qui est médecin, dans le domaine agricole qu’il possède à la campagne tandis que Luciana reste à Rosario avec sa mère et ses copines. Au ranch, Jorgelina retrouve Mario, le fils du fermier, un jeune garçon renfermé, employé comme garçon de ferme et qui se prépare lui aussi à entrer dans le clan des adultes. Le spectateur est mis en face des dichotomies qui structurent cette société : les travailleurs et les oisifs, le monde de l’enfance et le monde des adultes,  le masculin et le féminin. Le thème central du film a aussi été abordé par Lucia Puenzo dans XXY. Le tournage a eu lieu à Rosario et à Urdinarrain (au nord de Buenos Aires). Gabo Correa, qui joue le rôle du père de Luciana, présente un vague air de ressemblance avec l’acteur français François Cluzet. Le film, qui est le deuxième long-métrage de la réalisatrice, est produit par les frères Almodovar. Il a reçu la Catalina de oro de la meilleure photographie au festival de Carthagène en 2010 ; c’est Lucio Bonelli qui était le chef opérateur.

Damian Szifron (né en 1975)

Les nouveaux sauvages (Relatos salvajes) 2014

A partir de divers projets de films jamais réalisés, Szifron a bâti un film à sketches qui tire son unité d’un thème identique : l’accumulation chez un individu ordinaire des frustrations causées par les relations sociales, l’amenant inexorablement jusqu’au point de rupture. Le jeune homme qui accumule les échecs professionnels et sentimentaux, l’employée méprisée par le client, l’automobiliste bafoué, le contribuable excédé par la mauvaise foi du système, l’homme d’affaires contraint de se mettre à la merci d’aigrefins et la jeune mariée trompée vont fatalement tous arriver à saturation, péter les plombs et causer un déchainement de violence irrépressible. Le mode sarcastique du film et l’importance accordée à la fatalité évoquent certains films des frères Coen. On remarquera la performance d’actrice d’Erica Rivas dans le rôle de la jeune mariée déchaînée, dans la cinquième séquence (Hasta que la muerta nos separe). Le film, qui renoue avec un genre très prisé dans les années 1960, a été nominé aux Oscars en 2015 (dans la catégorie du meilleur film étranger) et a reçu le Goya du meilleur film ibero-américain la même année.

Gustavo Tarreto (né en 1965)

Medianeras 2011

Si le thème de cette comédie sentimentale n’est pas particulièrement original (les vies parallèles d’un homme et d’une femme, dont on sait qu’elles vont pourtant se rencontrer), le film dégage un charme incontestable grâce au ton adopté, mêlant la poésie parfois surréaliste (plus prononcée dans la première partie du film) et l’humour (marquant surtout la seconde partie). Lui (l’acteur argentin Javier Drolas, un faux air d’Alexandre Astier, physionomie dépressive inclue) est un geek, créateur de sites web, bourré de névroses et photographe amateur.  Elle (l’actrice espagnole Pilar Lopez de Ayala) est architecte mais gagne sa vie en décorant des vitrines ; elle a la phobie des ascenseurs mais vit au 8e étage. Ils sont voisins de rue et partagent, outre un goût commun pour la natation, la même solitude au milieu d’une métropole peuplée de plusieurs millions d’individus (medianeras signifie « murs mitoyens » en espagnol). Le 3e personnage c’est donc la ville, Buenos Aires et surtout son architecture hétéroclite, anarchique et contradictoire -à l’image de ses habitants- mais magnifiée par de nombreux plans fixes. Le film est truffé de références au thème de la mégalopole (Manhattan de Woody Allen, Playtime de Jacques Tati), le motif récurrent (repris par l’affiche du film) étant celui de Charlie –Wally en VO (ce personnage de BD, aux airs d’adolescent lunaire, qu’on doit retrouver dans la foule). Quelques belles trouvailles visuelles et un usage discret de l’animation contribuent à la réussite de ce film, résolument ancré dans son époque, à l’image des films de Cédric Klapisch.

Javier Drolas et Pilar Lopez de Ayala dans Medianeras

Gonzalo Tobal (né en 1981)

Acusada 2018

Deux ans et demi après la mort violente de sa meilleure amie lors d’une fête alcoolisée, Dolorès Dreier (Lali Esposito), une jeune étudiante issue d’un milieu aisé, est accusée du meurtre. Le procès fait l’objet d’une large couverture par les médias argentins et l’entourage familial fait bloc autour de la jeune fille pour lui assurer la meilleure défense possible. Mais comment celle-ci va-t-elle réagir face aux multiples pressions qui s’abattent sur elle ? Thriller judiciaire, Acusada amène à se questionner sur la notion de vérité et sur sa signification dans une société hypermédiatisée où les recettes de la communication et du spectacle l’emportent sur les règles fondant les structures sociales et familiales. L’acteur mexicain Gael Garcia Bernal (No !, Eva ne dort pas, Ardor, etc.) joue le rôle d’un journaliste de télévision ; Inés Estevez, actrice et chanteuse (vue -entre autres- dans Felicidad), interprète le rôle de la mère de Dolorès, tandis que le rôle du père est tenu par Leonardo Sbaraglia, qui possède une longue filmographie dans laquelle figurent Les Nouveaux sauvages de Szifron et Vies brûlées de Piñeyro. On trouve aussi au générique Natalia Smirnoff, qui a été directrice de casting sur le film. Acusada a été présenté à la Biennale de Venise et au Festival de Toronto. Un remake français est sorti en 2020 sous le titre « La fille au bracelet », réalisé par Stéphane Demoustier, avec Roschdy Zem, Chiara Mastroianni et Anaïs Demoustier, la sœur du réalisateur.

Emiliano Torres (né en 1971)

Patagonia (El invierno) 2016

Patagonia, premier long-métrage d’Emiliano Torres, a évidemment pour cadre la Patagonie et ses paysages dont la rudesse et l’isolement sont accentués par l’hiver austral, qui va voir l’affrontement entre deux hommes dont l’un, Jara, surnommé Corrientes (un jeune métis venu du nord) a été choisi comme contremaître dans une grande estancia en remplacement de l’autre (Don Evans, un vieil homme du sud, joué par Alejandro Sieveking). Malgré leur opposition apparente, les deux hommes présentent au fil de l’histoire de plus en plus de similitudes, partageant la même solitude et le même éloignement de leur famille. La scène des retrouvailles ratées de Don Evans et de sa fille à Rio Gallegos rappellera une scène analogue de Jours de pêche en Patagonie. Par le thème et le choix des images, le film lorgne du côté du western, sur fond de critique sociale implicite ; les propriétaires, qui habitent la capitale, ne font qu’une brève apparition -littéralement tombés du ciel- le temps d’une soirée de dépaysement, pour décider du destin  de ce bout du monde et de ses habitants. Mais le propos du film est bien la nature cyclique des vies humaines, soulignée ici par la succession des saisons. Le directeur de la photographie, Ramiro Civita, a travaillé sur  Le fils d’Elias de Daniel Burman. Le film a été tourné dans la province de Santa Cruz, à l’estancia Punta del Lago près de Tres Lagos et aux environs d’El Chalten dans le parc national Los Glaciares. Le tournage, très tributaire des conditions météorologiques imprévisibles de cette région et du rythme saisonnier de l’élevage ovin, a dû être étalé sur deux semaines d’hiver et quatre semaines d’été, entre août et décembre 2015.

Agustin Toscano (né en 1981)

L’Homme à la moto (El motoarrebatador) 2018

Dans la ville de Tucuman, Miguel, un petit délinquant occasionnel qui est aussi père de famille, se rend responsable de l’accident qui handicape Elena, une femme mûre. Pris de remord, il va s’occuper d’elle sans révéler son rôle dans l’agression. Le film est inspiré des souvenirs personnels de Toscano, né à San Miguel de Tucuman et dont la mère fut jadis victime d’un vol à l’arrachée. Les deux interprètes principaux, Sergio Prina et Liliana Juarez, jouaient dans le premier film de Toscano, Los Dueños, co-réalisé avec Ezequiel Raduzki.

Pablo Trapero (né en 1971)

Fils d’un mécanicien, Pablo Trapero est né dans la banlieue de Buenos Aires ; il a suivi des études d’architecture et de cinéma en parallèle, a touché au théâtre et a obtenu un diplôme en réalisation à l’Université du Cinéma de Buenos Aires en 1995 (promotion 91). Ses premiers courts-métrages, en 1992 et 1995, ont été remarqués. Trapero a participé, avec Gaspar Noé –entre autres- au film à sketches 7 jours à La Havane (7 dias en La Habana), sorti  en 2012. Sa compagne est la productrice et actrice Martina Gusman, qui joue dans la pluparts des films de Trapero. Le couple a fondé la société de production Matanza Cine.

Mundo grua 1999

Rulo est un ouvrier quinquagénaire divorcé, qui a connu son heure de gloire vingt ans plus tôt comme bassiste d’un groupe de rock, Septimo Regimiento, auteur de la chanson à succès « Paco Camorra ». Il vit en banlieue, à San Justo (la ville natale de Trapero) et entretient son fils Claudio, un glandeur sympathique, musicien comme le fut son père.  Dans une première partie, on partage le quotidien plutôt solitaire de Rulo, en dépit de ses copains et d’Adriana (Adriana Aizemberg), la gérante du kiosco qu’il fréquente. Avec le soutien d’un ami, il se forme au métier de grutier mais est renvoyé au bout de quelques semaines à cause d’un problème médical lié à son obésité. Il part alors chercher du travail dans le Sud, où se déroule la seconde partie du film ; à Comodoro Rivadavia, dans le Chubut, il devient pelleur sur le chantier d’un aqueduc. Son quotidien passe de l’intime au collectif et il se trouve immergé dans le microcosme des travailleurs nomades, avec les problèmes sociaux et syndicaux qui l’agitent.

Ce premier long-métrage de Trapero est très proche du film documentaire ; d’ailleurs le projet initial était bien un documentaire dans lequel Trapero a inséré –dans le rôle principal- un acteur semi-amateur, Luis Margani, qui était un ami de la famille et qu’il avait déjà fait jouer dans son court-métrage de 1995, Negocios.  Autre témoignage du réalisme qui imprègne le film, le personnage principal, Rulo, emprunte entièrement son passé de bassiste à son interprète. Une grande partie des dialogues sont improvisés, ce qui participe aussi à l’authenticité de l’atmosphère du film. Car l’ambition du réalisateur, qui confesse son admiration pour Les Temps Modernes et son attirance pour le néoréalisme, est bien de faire partager au spectateur la vie d’un prolétaire argentin à partir de détails quotidiens, en abolissant la frontière entre fiction et réalité. Trapero s’est lui-même défini comme un Bonaerense (qui est le titre de son deuxième long-métrage), c’est-à-dire un banlieusard, par rapport aux Portenos (habitants du centre-ville de Buenos Aires). Le film a été tourné en argentique noir et blanc et en 16 mm ; la dureté des contrastes et le grain de l’image renforcent la parenté avec les films du néoréalisme italien. Le directeur de la photographie est Cobi Migliora, qui a travaillé sur L’assaillant (El asaltante) de Pablo Fendrik et sur plusieurs films de Lisandro Alonso.

El Bonaerense 2002

Une fois encore, Trapero nous propose une immersion dans le prolétariat argentin, en plaçant sa caméra au milieu des gens des faubourgs, filmant au plus près des corps et des visages et nous en faisant ressentir la promiscuité. Avec intelligence il sait s’attarder sur des détails porteurs de sens (une table souillée de reliefs de repas après une fête) et se montrer elliptique sur les évènements dramatiques (une bavure policière est montrée par des images furtives, comme prises sur le vif). Son héros, Mendoza Enrique Orlando (dit Zapa) est un jeune provincial de 32 ans qui n’exerce aucun contrôle sur sa vie.  Employé dans une petite entreprise de serrurerie, il est impliqué par son patron dans un cambriolage et n’échappe à la prison que grâce à son oncle, un policier retraité, qui use de ses relations pour le faire admettre dans la police de la province de Buenos Aires (la « Bonaerense »).  Il s’y trouve mêlé, toujours sans l’avoir voulu, à des affaires de corruption. Dans ce nouveau milieu, ce sont encore les autres qui décident de sa vie.

Le film débute par un long plan fixe montrant des consommateurs immobiles et silencieux (dont Zapa), attablés à une terrasse de café dans un coin de rue d’un quartier peu animé, comme s’ils étaient les spectateurs passifs d’un théâtre où il ne se passe rien, qu’un chien qui trottine, une jeune fille à vélo et l’annonce d’un spectacle minable. Le directeur de la photo est Guillermo Nieto, l’époux de Lucia Cedron ; Cobi Migliora fait partie de l’équipe additionnelle. Les scènes du début du film ont été tournées à Suipacha, dans la province de Buenos Aires ; la plupart des autres séquences ont été tournées à La Matanza, dans la banlieue de Buenos Aires. Zapa est interprété par Jorge Roman.  Mimi Ardu, qui joue le rôle de la maîtresse de Zapa, a également joué dans Un año sin amor de Berneri.

Pour en savoir plus :

Elefante blanco 2013

Elefante blanco est le nom donné par dérision à un grand ensemble immobilier dégradé du quartier de Villa Lugano à Buenos Aires, dans lequel -et autour duquel- 15.000 à 30.000 personnes tentent de survivre, entre l’infestation du bidonville par la drogue, la guerre entre chefs narcos et les descentes de police. Un prêtre, le père Julian (Ricardo Darin, toujours parfait) tente d’apporter à cette communauté un semblant d’organisation et un espoir dans l’avenir. Il est aidé dans cette tâche par son équipe pastorale et par une assistante sociale, Luciana (dont le rôle est tenu par Martina Gusman, l’épouse de Trapero). Afin de préparer sa succession, Julian fait venir un jeune prêtre belge prénommé Nicolas (incarné par l’acteur belge Jérémie Rénier, l’interprète de Cloclo), qui revient tout juste d’une mission en forêt dramatiquement interrompue. Santiago Mitre a participé au scénario, qui s’inspire largement de la vie d’un personnage réel, le père Carlos Mugica, prêtre ouvrier, défenseur du peuple, qui œuvrait dans la Villa 31 et qui fut assassiné en 1974 par une milice fasciste ; dans le film, le père Nicolas a pris la suite du père Mugica, qui fait figure de saint martyr. Le directeur de la photo est Guillermo Nietto, qui a travaillé également sur El Bonaerense. Le film a été tourné entre novembre 2011 et janvier 2012 à Ciudad Occulta dans le quartier de la Villa Lugano (où se situait l’Elefante Blanco) et dans deux bidonvilles des quartiers portuaires : Villa 31 et Villa Rodrigo Bueno. Le bâtiment gigantesque qui donne son nom au film et qui était destiné à accueillir un gigantesque hôpital, n’a jamais été terminé (le projet datait de… 1923) et a été détruit en 2018. L’atmosphère de pourrissement généralisé du quartier est accentuée par la boue et la pluie, omniprésente.

El Clan 2015

S’inspirant d’un fait divers réel  survenu en Argentine pendant les dernières années de la dictature et les quelques années suivantes, Pablo Trapero construit un thriller filmé sans édulcoration, à la façon d’un Scorcese avec lequel on l’a parfois comparé. Un ancien nervi du régime d’extrême-droite, devenu boutiquier dans la banlieue de Buenos Aires, avait mis sur pied une petite entreprise familiale d’enlèvement contre rançon, entre 1982 et 1985 ; choisissant des victimes fortunées dans l’entourage de son fils, une vedette locale de rugby, il les séquestrait dans la maison familiale, touchait une rançon et les exécutait, tout ceci avec la nécessaire complicité des membres de la famille : sa femme, ses trois fils et ses deux filles. https://www.unoentrerios.com.ar/pais/los-siniestros-ritos-del-clan-puccio-n1383926.html ; https://www.clarin.com/policiales/murio-arquimedes-puccio-familiar-secuestradores_0_r1Vmjt_swml.html

Le réalisateur aborde des thèmes touchant à l’histoire récente de l’Argentine, comme l’héritage de la violence laissé par les années de dictature et l’absence de purge après le retour de la démocratie, impunité qui a permis le maintien des réseaux d’extrême-droite. Mais le thème central est le dilemme personnel du fils aîné, pris entre le choix de trahir ses amis ou de trahir son père. Le titre du film souligne l’influence du patriarcat dans la société argentine. Le directeur de la photographie est  Julian Apezteguia, qui fut chef opérateur sur plusieurs films d’Adrian Caetano et de Carlos Sorin. Le film a reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise et le Goya du meilleur film ibéro-américain en 2016.

« Pablo est venu de nombreuses fois en sélection officielle et fut une année président du Certain Regard. C’est un enfant de Cannes (et du BAFICI, le festival de Buenos Aires, un vivier du jeune cinéma latino). Presque trop : l’an dernier, il nous avait soumis une version de El Clan montée à la hâte. Je lui avais recommandé de ne pas s’obséder de la Sélection officielle et de prendre du  temps. D’aller à Venise, par exemple, pour se légitimer ailleurs qu’à Cannes. « Passée la déception, me dit Pablo, je suis retourné au montage et j’ai tenu compte de toutes les remarques que tu m’avais faites. Du coup, à Venise, j’ai gagné un prix et en Argentine, on a dépassé les deux millions de spectateurs. » Ça n’est plus du tout le même film ! » m’a assuré Michel Saint-Jean, qui le distribue en France. Dans son pays, Pablo tient ce territoire symbolique et réel, d’être un auteur qui parle à un large public. La dernière marche n’est pas loin car il lui manque peu de chose pour trouver la grande reconnaissance internationale. Elle viendra.» (Thierry Frémaux, Sélection officielle, 2016).

Juan Vera

Juan Vera a étudié à l’Escuela Nacional de Realizacion Cinematografica de la Argentina (ENERC). Il a connu une longue carrière en tant que producteur (Le fils de la mariée, Luna de Avellaneda, Elefante Blanco, Corazon de Leon, Zama, etc.) avant de se lancer dans la réalisation.

Retour de flamme (El amor menos pensado) 2018

Dans cette comédie romantique, Marcos (Ricardo Darin) et Ana (Mercedes Moran) sont deux quinquagénaires, mariés depuis 25 ans. Leur couple entre en crise lorsque leur fils les quitte pour étudier en Espagne, les obligeant à repenser leur relation. Le film appartient au genre identifié en 1981 par le philosophe Stanley Cavell sous le nom de comedy of remarriage (comédie de remariage), qui fut en vogue dans le cinéma hollywoodien des années 1930-1940.

Juan Villegas (né en 1971)

Juan Villegas est une des figures du second Nuevo Cine, dont le premier long-métrage, Sabado (2001) avait été remarqué à la Mostra de Venise.

Las Vegas 2018

Martin (Santiago Gobernori, un des acteurs de La Flor) et Laura (Pilar Gamboa, également une des actrices de La Flor) sont deux trentenaires qui ont eu une relation amoureuse lorsqu’ils étaient adolescents, relation fugace dont est né un garçon, Pablo (Valentin Oliva), désormais parvenu à l’âge qu’avaient ses parents à sa naissance.  Les trois se retrouvent par hasard en villégiature au même endroit au bord de la mer et vont apprendre à se connaître, de façon pas toujours sereine. De l’aveu de son réalisateur, c’est une réflexion sur le passage du temps et sur la difficulté d’acceptation de l’âge adulte et de la parentalité.

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