La destinée d’Antoine Tourens est connue de beaucoup et a été encore popularisée par l’ouvrage à succès de Jean Raspail (« Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie », 1981), en revanche qui connaît Achille Laviarde, épiphénomène du royaume français de Patagonie ?
Je viens d’être proclamé roi d’Araucanie et de Patagonie. Je m’en réjouis plutôt pour mon pays que pour moi, car mon royaume portera le nom de Nouvelle-France.
Orélie-Antoine Ier, 1861
Le successeur d’Orélie-Antoine Tounens, premier roi de Patagonie
Né le 7 novembre 1841 à Reims au sein d’une famille bourgeoise (son père était fabricant de tissus et sa mère propriétaire d’un lavoir), Gustave Achille Laviarde passe les premières années de sa jeunesse à voyager en Europe et en Afrique du Nord avant de se lancer dans une carrière commerciale ; il fut ainsi actionnaire de la maison de champagnes Moët et Chandon. Il mène une modeste carrière politique dans les rangs bonapartistes à la fin du Second Empire et sous la IIIe République. C’est sans doute par le biais de ce milieu politique qu’il fit la connaissance d’Orélie-Antoine Ier, « roi de Patagonie en exil », qui lui confère en 1873 le titre de prince des Aucas, duc de Kialeou.
Le 26 mars 1882, Adrien-Jean de Tounens, neveu et héritier désigné du roi de Patagonie, renonce à la couronne en faveur d’Achille Laviarde, qui devient Achille Ier. Celui-ci ne se rendra jamais sur les terres de son royaume. Sa résidence officielle se tenait à Reims, au « Château des Grenouilles Vertes », qu’il avait acheté en 1867 et qui fut démoli en 2001, ce qui suscita les protestations officielles de la maison royale araucanienne.
Le roi était entouré de ministres, parmi lesquels on comptait Antoine-Hippolyte Cros, Garde des Sceaux, qu’il avait connu au cabaret montmartrois du Chat Noir et qui lui succéda, et Emile Godret, ministre de la Marine, un ami de fanfare. Joyeux boulevardier, Achille Laviarde partagea sa vie entre sa ville natale, où il était connu pour ses frasques, et Paris où il fréquenta les milieux bohêmes : https://sites.google.com/site/lavieremoise/remois-celebres/achille-laviarde-dit-achille-ier-roi-d-araucanie.
Mort en 1902, il fut inhumé à Reims avant que sa dépouille ne soit transférée au cimetière de Tourtoirac, en Dordogne, aux côtés de la tombe du premier roi de Patagonie.
Une postérité disputée
Loin de s’éteindre avec le XIXe s. comme on aurait pu le penser, la lignée fondée par Orélie-Antoine de Tounens a traversé tout le XXe s. et persiste de nos jours. Le nom officiel de « Royaume d’Araucanie et Patagonie » met en avant les revendications d’indépendance des peuples Mapuche, sur lesquels les souverains successifs s’appuient, avec plus ou moins de conviction, pour asseoir leur légitimité. La liste des successeurs d’Achille Ier, prétendants au trône d’Araucanie (dont une femme), est déjà longue (https://www.mapuche-nation.org/francais/html/royaume/accueil.html) :
- « Antoine II », alias Antoine-Hippolyte Cros (Lagrasse 1833-Asnières-sur-Seine 1903), médecin de l’empereur du Brésil, frère du poète et inventeur Charles Cros, ami d’Achille Ier
- « Laure-Thérèse Ière », alias Laure-Thérèse Cros (Paris 1856-Issy-lès-Moulineaux 1916), fille du précédent
- « Antoine III », alias Jacques-Antoine Bernard (Paris 1880- Paris 1952), directeur des éditions du Mercure de France, deuxième fils de la précédente
- « Philippe Ier », alias Philippe Boiry (Paris 1927-Chourgnac d’Ans 2014), journaliste et écrivain, collaborateur et ami du précédent, mort sans descendance
- « Antoine IV », alias Jean-Michel Parasiliti di Para (Aix-en-Provence 1942-Paris 2017), éducateur spécialisé, dont l’élection par le « Conseil de Régence » fut contestée par Franz Quatreboeufs (notaire douaisien et vice-consul de Patagonie à Lille, blog : http://qui-pigne-vit.over-blog.fr/album-1938894.html et par le jeune Stanislas Parvulesco (autoproclamé « Stanislas Ier »), un agent immobilier proche des milieux français d’extrême-droite, petit-fils du romancier Jean Parvulesco : https://www.sudouest.fr/2014/07/22/putsch-au-royaume-d-araucanie-1621398-2178.php, http://maison-royale-araucanie.over-blog.com/2014/07/quelques-observations-sur-l-election-de-m-parasiliti-dit-para.html et http://souvenir-franco-araucanien.over-blog.com/
- « Frédéric Ier », alias Frédéric Luz (né à Toulouse en 1964), héraldiste, monarchiste familier du comte de Paris (https://www.ladepeche.fr/article/2018/05/20/2801336-le-nouveau-roi-des-mapuches-garde-l-accent-toulousain.html). La sciccion introduite par la mort de Philippe Ier se poursuit par la revendication du trône par Stanislas Ier et par un troisième prétendant, François de la Garde, qui se présente en novembre 2018 comme Philippe Orllie, chef de la Maison Royale d’Araucanie et de Patagonie (https://araucaniepatagonie.com/).
Médaille commémorative du prince Philippe Ier d’Araucanie, gravée par la médailliste et sculptrise rouennaise Josette Hébert—Coëffin, auteure du buste d’Henri Gadeau de Kerville (http://www.carnetsdepolycarpe.com/henri-gadeau-de-kerville-1858-1940-un-savant-a-lancienne/). La distinction a été instituée le 2 juillet 1965 par le prince Philippe à l’initiative du Chevalier Pierre Castang, comte de Queilen-Cura, membre du Conseil du Royaume ; elle comprend trois classes : l’or, l’argent et le bronze. Les récompenses sont décernées par l’ONG « Auspice Stella ».
Entre Utopia et Groland
La survivance de cette utopie australe offre un curieux mélange de romantisme sympathique, de soutien aux luttes indigènes du peuple mapuche, de farce estudiantine, de franc-maçonnerie, de nostalgie monarchique et de traditionalisme flirtant parfois avec les milieux catholiques intégristes (http://parousia-parousia.blogspot.com/2014/12/longue-vie-au-royaume-daraucanie-et-de.html). Parmi les dignitaires du royaume patagon, figurent bien entendu Jean Raspail, consul général de Patagonie (le biographe d’Antoine de Tounens), mais aussi Jacques Terpant, auteur de BD, vice-consul de Patagonie et membre du cercle des peintres et illustrateurs patagons. La fête nationale de la Patagonie est célébrée le 20 novembre, jour anniversaire du couronnement du roi fondateur mais elle est aussi fêtée le 12 mai (jour anniversaire de la naissance d’Antoine Ier) et le samedi précédant le 23 août, jour de la Sainte Rose de Lima. La musique de l’hymne officiel patagon a été écrite en 1864 par l’immigrant allemand Georg Friedrich Wilhelm (Guillermo) Frick Eltze : https://www.youtube.com/watch?v=KUXT50Un-wM.
Le royaume d’Araucanie continue à battre monnaie, avec le peso pour unité monétaire (http://www.araucanie.com/araucanie/cox_fichiers/Cox2.htm, http://www.araucanie.com/Muenzen.pdf). ). Il existe même un Institut Royal Patagon d’œnologie (IRPO), créé en 1995, dont l’échanson est vigneron à Gigondas (https://www.pierre-amadieu.com/domaine-gigondas-amadieu-nos-valeurs/vin-patagonie-gigondas/).
La constitution du royaume, promulguée le 17 novembre 1860 par Orélie-Antoine Ier et signée par son ministre secrétaire d’Etat à la justice, François Desfontaine, peut être consultée ici : http://souvenir-franco-araucanien.over-blog.com/1975/11/constitution-du-royaume-d-araucanie-de-patagonie.html.
Souverains | Règne |
Orélie-Antoine Ier | 1860-1878 |
Achille Ier | 1882-1902 |
Antoine II | 1902-1903 |
Laure-Thérèse Ière | 1903-1916 |
Antoine III | 1916-1951 |
Philippe Ier | 1951-2014 |
Antoine IV | 2014-2017 |
Frédéric Ier | 2018- |
C’est aussi du cinéma
L’épopée d’Orélie-Antoine de Tounens a inspiré plusieurs cinéastes, parmi lesquels le réalisateur argentin Carlos Sorin, dont le premier long métrage « La pelicula del rey » (« A King and his Movie » en anglais), sorti en 1986, conte les péripéties d’un cinéaste aux prises avec ce sujet (https://www.patagonie.carnetsdepolycarpe.com/2020/01/12/les-realisateurs-argentins-de-la-nouvelle-vague/). Plus récemment, le réalisateur chilien et états-unien Niles Attalah a tourné une interprétation très personnelle de l’histoire sous le titre « Rey, l’histoire du Français qui voulait devenir roi de Patagonie » (titre original : « Rey ») (novembre 2017).
Pour en savoir plus :
- Philippe BOIRY : Philippe, Prince d’Araucanie : Histoire du royaume d’Araucanie (1860-1979). Une dynsatie de prince français en Amérique latine. Souvenir franco-aracraunien, Neuilly-sur-Seine, 1979, 472p. (critique par Jean-Claude NARDIN in Revue française d’histoire d’Outre-mer, 1978, n°241, p. 627-629.)
- Julien ŒUILLET : Le business des vanités. Enquête sur les arnaques à la noblesse. Ed. du Moment, 2015, 208 p.
- http://chourgnacdans.canalblog.com/albums/les_rois_d_araucanie_et_de_patagonie/photos/77753070-5_coat.html#lg=1&slide=35 (compilation d’images en rapport avec le royaume de Patagonie)