Européens et indigènes

Histoire des recherches sur les peuples de l’extrême Sud, de Magellan à Ultima Patagonia

L’exploration de la Patagonie par les Européens remonte au début du XVIe s. ; elle fut effectuée par voie maritime.  Dès 1520, Magellan découvre le détroit qui porte désormais son nom ; il est rapidement suivi par d’autres navigateurs, principalement guidés par des intérêts économiques et géostratégiques bien plus que scientifiques. Le 31 mars 1520, les marins de l’expédition aperçoivent pour la première fois un indigène de Patagonie, dans la baie San Julian. Après des contacts pacifiques, les Européens capturent par la ruse deux indigènes –qui mourront un peu plus tard-  en blessent un autre et incendient un campement. Un marin est tué d’une flèche par les Indiens pourchassés. Les témoignages des explorateurs sur les indigènes rencontrés portent surtout sur leur aspect physique. Seul le chroniqueur Pigafetta s’intéresse à leur langage, s’informant auprès d’un des captifs indigènes.

« (…) un jour (…) nous vîmes un géant qui était à la rive de la mer, tout nu, et dansait, sautait et chantait. Et en chantant il mettait de l’arène et poudre sur sa tête. Magellan envoya vers lui un de ses gens, auquel il donna charge de chanter et sauter comme l’autre pour l’assurer et lui montrer amitié en signe de paix. (…) Incontinent, l’homme du navire dansant conduisit ce géant à une petite île où le capitaine l’attendait. Et quand il fut devant nous il commença à s’étonner et à avoir peur, et levait un doigt vers le haut, croyant que nous venions du ciel. Et il était si grand que le plus grand des nôtres ne lui venait qu’à la ceinture (…). Il avait un très grand visage, peint de rouge à l’entour, et ses yeux aussi étaient peints de jaune par autour, et au milieu des joues il avait deux cœurs peints. Il n’avait guère de cheveux à la tête et ils étaient peints de blanc. Quand il fut amené au capitaine, il était vêtu d’une peau de certaine bête (guanaco), laquelle peau était cousue bien subtilement. (…) Ce géant avait ses pieds couverts de cette peau de ladite bête en forme de sandales ; il portait à la main un arc court et gros, dont la corde grosse, un peu plus que celle d’un luth, était faite du boyau de la même bête, avec une trousse de flèches de canne qui n’étaient pas fort longues et étaient empennées comme les nôtres, mais n’avaient point de fer mais au bout de petites pierres blanches et noires taillées bien tranchantes, faites au moyen d’une autre pierre, et ces flèches ressemblaient à celles dont usent les Turcs. Magellan fit donner à manger et à boire à ce géant, puis il lui montra aucunes choses, entre autres un miroir d’acier, dans lequel ce géant, quand il vit sa semblance, s’épouvanta grandement (…). Après cela le capitaine lui donna deux sonnettes, un miroir, un peigne et quelques chapelets de patenôtres, et le renvoya à terre (…). »

« (Des) hommes vinrent, ne portant que leur arc à la main. Mais leurs femmes venaient chargées après eux comme des ânes et portaient leurs biens. Ces femmes ne sont pas si grandes que les hommes mais plus grosses. Quand nous les vîmes, nous fûmes tous épouvantés et ébahis car elles avaient les tétins longs d’une demi-brasse, étaient peintes par le visage et habillées comme les hommes ; mais elles portaient une petite peau devant pour couvrir leur nature. (…) »

« (…) nous vîmes quatre autres géants qui ne portaient point d’armes, car ils les avaient cachées dans les buissons (…). Nous les prîmes tous les quatre, et chacun d’eux était peint de diverse sorte. Le capitaine retint les deux plus jeunes pour les mener en Espagne à son retour. (…) »

« Magellan appela cette manière de gens Pataghoni, lesquels n’ont point de maisons mais des baraques faites de la peau des susdites bêtes de quoi ils se vêtent, et ils vont çà et là avec leurs baraques, comme font les Gitans ; ils vivent de chair crue et mangent d’une certaine racine douce qu’ils appellent capac. »

(Le voyage de Magellan 1519-1522, la relation d’Antonio Pigafetta du premier tour du monde, transcrite par Xavier de Castro, 2017)

En 1598 a lieu la première tentative de colonisation blanche dans cette zone : la fondation de Ciudad del Rey Don Felipe, au sud de l’actuelle Punta Arenas, se termine par un échec lamentable qui entraine la mort des 300 colons de ce lieu, connu par la suite sous le nom évocateur de Port Famine (Puerto del Hambre) ; effacé de la mémoire des hommes, le site a été redécouvert par l’ethnologue français José Emperaire en 1958. Dans les décennies suivant la découverte du détroit de Magellan, les canaux patagoniens sont fréquentés de façon fugace par des navigateurs, des corsaires et des pêcheurs. Les contacts entre les Blancs et les Indiens sont ponctuels et les cas d’affrontement restent marginaux.

« Le 20 (mai 1578) pendant que nous étions occupés à bruler notre flybot, une trentaine de sauvages vinrent à nous. Quand ils furent à 100 pas, ils se rangèrent en ordre de bataille, marchant de rang l’arc et les flèches à la main. Ils plantèrent leurs flèches en terre en notre présence. Alors nous mîmes à terre quelques petits miroirs, chapelets & autres bagatelles ; & nous reculâmes quelques pas. Cette manière d’agir les fit s’approcher tout-à-fait, d’un air si joyeux que le capitaine Winter se mit à danser avec eux, au son des trompettes & des violes, qui les réjouissaient au dernier point. Ils étaient de taille moyenne, bien proportionnés, de couleur brune et tannée : quelques-uns avaient le visage peint en blanc, en rouge et en noir. Leur habillement était une peau qui ne leur descendait pas jusqu’à la ceinture, tout le reste du corps demeurant nud. Ils avoient je ne sçais quoi de tortillé sur la tête, dont les bouts pendoient sur les épaules. Leurs arcs étoient d’une aulne de long : leurs flèches de cannes fort artistement ornées de pierres à fusil. Ils paraissoient enclins à la joye et au plaisir, rusés & disposés à voler tout ce qu’ils pouvoient saisir ; car l’un d’eux enleva hardiment le chapeau de l’amiral garni d’un cordon d’or, que Drake voulut qu’on lui laissât. Ce peuple vit de chair crue. Nous trouvâmes des os d’animaux marins, qu’ils avoient dévoré et rongé comme des chiens. Le 22 juin nous perdîmes M. Gunner et un de nos gens, que les Patagons du port S. Julien tuèrent, croyant que ce gentilhomme qui manioit un arc, vouloit les attaquer. Quand nous retournâmes le lendemain pour prendre son corps, nous trouvâmes que les sauvages l’avoient dépouillé de ses habits, qu’ils lui avoient mis sous sa tête sans rien en prendre, & lui avoient attaché l’arc sur l’œil gauche. »

(Journal d’Edward Cliffe, cité in de Brosses, 1756)

A partir de la fin du XVIe s. les passages de navires européens dans le détroit de Magellan et les canaux patagoniens deviennent de plus en plus fréquents.

« Lorsque dans le cours de leurs excursions, les Indiens de cette partie du monde veulent faire une pause, ne fût-ce que pour une nuit, les hommes se chargent de préparer une habitation, tandis que les femmes s’occupent beaucoup plus laborieusement, soit à plonger dans la mer pour en tirer des œufs de poisson, à faire du feu , ou à chercher des moules sur la côte. Les hommes abattent dans le bois une quantité de branches longues et droites. Ils en forment une espèce de cercle plus ou moins grand, ils courbent les têtes de toutes ces branches, de manière qu’elles se joignent et forment une sorte de faisceau qu’ils lient avec une plante fort souple qui ressemble au chèvrefeuille. Ils couvrent ensuite cette espèce de hutte avec des branches et des écorces. Mais comme cette dernière exige un peu de travail pour se la procurer, quand ils partent, ils l’emportent dans le fond de leur canot, et laissent le reste. Ils font du feu dans le centre du wigwam, et s’asseyent autour sur des branchages ; mais comme pour écouler la fumée il n’y a point d’autre ouverture qu’une porte fort basse et quelques trous qu’ils n’ont pas pu boucher, ils en sont fort incommodés, et les maux des yeux sont communs parmi ces sauvages. »

(Byron, Naufrage en Patagonie, écrit après son aventure survenue en 1740, publié en français en 1994)

Il faudra attendre la première moitié du XIXe s. pour voir s’installer durablement les premiers Européens. C’est à peu près durant la même période que commence l’exploration scientifique de la zone. Le premier voyage du Beagle, de 1826 à 1830, vit le suicide de son commandant dans le détroit de Magellan et son remplacement par le lieutenant Fitz Roy. Le navire revint en Angleterre avec 4 captifs de l’ethnie yamana, dont un adolescent qui fut baptisé Jemmy Button ; ce dernier reçut une éducation britannique avant d’être ramené auprès des siens lors du deuxième voyage du Beagle. Celui-ci, qui dura de 1831 à 1836, est plus connu, grâce à la présence à son bord d’une jeune naturaliste nommé Charles Darwin qui publia son journal de voyage en 1839, avec les observations qui allaient lui permettre d’élaborer sa théorie de l’évolution.

« Un jour que nous nous rendions à terre auprès de l’île de Wollaston, nous rencontrâmes un canot contenant six Fuégiens. Je n’avais certainement jamais vu créatures plus abjectes et plus misérables. Sur la côte orientale, les indigènes (…) portent des manteaux de guanaco et, sur la côte occidentale, ils se couvrent avec des peaux de phoque. Chez ces tribus centrales, les hommes n’ont qu’une peau de loutre ou un morceau de peau quelconque, grand à peu près comme un mouchoir de poche et à peine suffisant pour leur couvrir le dos jusqu’aux reins. Ce morceau de peau est lacé sur la poitrine avec des ficelles, et ils le font passer d’un côté à l’autre de leur corps, selon le point d’où souffle le vent. Mais les Fuégiens qui se trouvaient dans le canot étaient absolument nus, même une femme dans la force de l’âge qui se trouvait avec eux. (…) Ces malheureux sauvages  ont la taille rabougrie, le visage hideux, couvert de peinture blanche, la peau sale et graisseuse, les cheveux mêlés, la voix discordante et les gestes violents. Quand on voit ces hommes, c’est à peine si l’on peut croire que ce soient des créatures humaines, des habitants du même monde que le nôtre. On se demande souvent quelles jouissances peut procurer la vie à quelques-uns des animaux inférieurs ; on pourrait se poser la même question, et avec beaucoup plus de raison, relativement à ces sauvages ! La nuit, cinq ou six de ces êtres humains, nus, à peine protégés contre le vent et la pluie de ce terrible pays, couchent sur le sol humide, serrés les uns contre les autres et repliés sur eux-mêmes comme des animaux. A la marée basse, que ce soit en hiver ou en été,  la nuit ou le jour, il leur faut se lever pour aller chercher des coquillages sur les rochers ; les femmes plongent pour se procurer des œufs de mer ou restent patiemment assises des heures entières dans leur canot jusqu’à ce qu’elles aient attrapé quelques petits poissons avec des lignes sans hameçon. Si l’on vient à tuer un phoque, si l’on vient à découvrir la carcasse à demi pourrie d’une baleine, c’est le signal d’un immense festin. Ils se gorgent alors de cette ignoble nourriture et, pour compléter la fête, mangent quelques baies ou quelques champignons qui n’ont aucun goût. »

« La parfaite égalité qui règne chez les individus composant les tribus fuégiennes retardera pendant longtemps leur civilisation. (…), Que ce soit une cause ou un effet, les peuples les plus civilisés ont toujours le gouvernement le plus artificiel. (…) Je crois que l’homme, dans cette partie extrême de l’Amérique du Sud, est plus dégradé que partout ailleurs dans le monde. »

(Darwin, 1839)

« Peuple nomade, les Patagons laissent leurs tentes et leurs principaux bagages dans l’E., et viennent dans l’O. à la chasse du guanaco ; mais ils habitent peu cette partie de leur pays. Ils adorent, dit-on, le soleil et le feu ; ils sont partagés en quatre tribus, ayant chacune son chef ou cacique, dont l’autorité est fort restreinte. Les hommes sont généralement d’une haute stature, qui pour les plus grands, est de six pieds environ. Ils vont ordinairement à cheval, et se nourrissent de coquillages, de gibiers, et principalement d’oiseaux, qui abondent sur leurs rivages, et de guanacos, quadrupède sauvage de la taille du cerf, espèce de lama qui n’est autre que le chameau de l’Amérique du Sud. Les Patagons des deux sexes n’ont pour vêtement qu’un manteau fait avec la peau de cet animal. Ces peuples ne s’adonnent pas à la marine ; ils vivent en paix entre eux, mais parfois ils font la guerre aux Fuégiens. »

(in Bajot, Annales maritimes et coloniales, 1847)

L’intérêt des scientifiques européens pour les peuples indiens se porte d’abord sur leurs caractéristiques anthropométriques, conformément aux théories de l’époque sur la classification raciale. Dans son ouvrage « l’Homme américain » (1839), le français Alcide d’Orbigny procède à un récapitulatif exhaustif et critique des observations relatées par les explorateurs qui l’ont précédé. Il distingue les Tehuelches (ou « grands Patagons ») des Fuégiens (ou « petits Patagons ») et donne une description assez précise du premier groupe. Quelques décennies plus tard, entre 1865 et 1867,  l’archéologue italien Pellegrino von Strobel effectue les premières fouilles raisonnées de campements et de sépultures indiennes en Patagonie. Francisco Moreno (dit Perito Moreno) est l’un des premiers argentins à s’intéresser à l’anthropologie des populations indigènes de son pays ; il fouille lui aussi des sépultures indiennes et contribue à la création du musée d’anthropologie et d’ethnographie de Buenos Aires. Ces travaux, ainsi que ceux de Francisco Ameghino (adjoint puis rival acharné de Moreno) et de l’anthropologue allemand Roberto Lehmann-Nitsche, vont alimenter un débat sur l’ancienneté de l’homme en Amérique. La dimension temporelle commence à être prise en compte mais, comme le souligne un célèbre anthropologue français, « lorsqu’il s’agit de la Patagonie, l’histoire date d’hier, et, par la suite, le terme préhistorique a une signification bien élastique » (Verneau, 1903).

En 1892 deux Suisses, le Dr Machon et J. Roth, parcourent la Patagonie du Rio Negro au Rio Chubut ; ils en ramènent des fossiles, des peaux d’animaux, des armes et outils en pierre ainsi que des crânes humains. L’explorateur français Henry de La Vaulx (co-fondateur de la société de pneumatiques Zodiac), séjourne en Patagonie en 1896-1897 ; il en ramène des collections scientifiques qu’il offre aux Musées français. Parmi ces objets figurent de nombreux crânes de « Patagons » qui font l’objet, entre 1894 et 1903, d’études anthropométriques détaillées de la part du Dr R. Verneau. L’origine de ces collections, qu’il faut resituer dans le système de pensée colonialiste de l’époque, suscite aujourd’hui des polémiques, comme celle qui tourne autour de la mort du cacique Incayal, capturé en 1884 puis « hébergé » par  Francisco Moreno dans le Musée de La Plata où il mourut en 1888 et où son squelette fut exhibé. Ses restes furent restitués à la communauté Tehuelche en 2015.

« A mon arrivée à ce campement, j’apprends qu’un Indien tehuelche est enterré depuis deux mois aux environs de ma tente. Le déterrer, le disséquer et le faire cuire pour en obtenir le squelette, m’occupent pendant deux jours et deux nuits ; cet acte utile, mais peu apprécié des indigènes, manque de me faire rompre mes relations avec eux. Ce n’est qu’à force de cadeaux que je peux les apaiser. » (Henry de La Vaulx, 1898).

De l’étude de 313 os longs provenant d’Indiens des provinces du Rio Negro, du Chubut et de Santa Cruz, Verneau tire les conclusions suivantes : « Les Patagons anciens se rapprochent singulièrement des Nègres par le développement relatif de leurs membres inférieurs pris dans leur ensemble et encore plus par le développement relatif de leurs avant-bras et de leurs jambes » ; de l’étude des crânes, le même auteur, en distinguant six types morphologiques principaux –correspondant à des groupes différents- et en étudiant leur répartition, conclut « que c’est par le Rio Negro qu’a été peuplée anciennement la Patagonie » (…) « les Tehuelches doivent être les derniers venus, car ils formaient un groupe compact dans le nord et ils ne paraissent pas avoir subi la poussée d’autres émigrants (…) »

Cet intérêt anthropologique gagne le grand public à la fin du XIXe s., grâce aux récits exotiques des explorateurs mais aussi grâce à l’exhibition dans les tristement célèbres « zoos humains » de groupes indigènes ramenés en Europe, comme ces onze indiens probablement Alakaluf exhibés au Jardin d’acclimatation de Paris en 1881. Le cerveau d’un enfant, amené avec ses parents pour être exhibé à Paris et qui mourut de broncho-pneumonie, fit l’objet en 1894 d’une étude anthropologique de Paul Manouvrier, qui réussit à mettre la main sur le cadavre.

« Lorsque nous arrivâmes vers les sauvages, ils étaient silencieusement assis autour d’un grand feu, les jambes repliées, le dos couvert tant bien que mal d’une peau de renard ou de guanaco, leur unique vêtement, qui ne cachaient leur poitrine que lorsqu’ils le retenait par devant avec la main. Ils déchiraient, avec leurs dents aidées de leur main, des morceaux de viande qu’ils avaient à peine fait roussir sur les charbons. (…) Ce spectacle, assez triste, nous fit penser à nos ancêtres de l’époque de la pierre, dont l’aspect et le genre de vie ne devaient pas différer beaucoup de ceux de ces malheureux sauvages. (…) nous pûmes prendre sur chacun une cinquantaine de mesures, à peu près toutes celles qui sont recommandées dans les Instructions de la Société d’Anthropologie. La seule chose que nous ne pûmes obtenir, ce fut d’examiner et de mesurer les organes génitaux. Il ne nous a pas été possible de voir plus bas que le bord supérieur du pubis ; nos insistances à ce sujet étaient inutiles, et lorsque nous voulions procéder par surprise en abaissant le caleçon, nullement national pourtant, dont étaient revêtus nos sauvages, ils portaient vivement la main pour nous en empêcher. » (Manouvrier 1881)

C’est dans les dernières décennies du XIXe s. que certains Blancs –surtout des missionnaires- commencent à s’intéresser réellement à la langue et aux rituels des Indiens de Patagonie. En 1879, Ramon Lista publie un lexique tehuelche ; dans un autre ouvrage paru en 1894, il expose quelques mythes tehuelches et décrit quelques-uns de leurs rites.

« Les deux sexes portent l’empreinte propre aux peuples indigènes sud-américains ; la tristesse, que l’on remarque du premier coup d’œil. On dirait que c’est un air souffrant, languissant et indifférent à la fois,et, sans vouloir en faire un discours, je dirai volontiers que le visage du Tehuelche reflète la désolation et l’aridité monotone du pays où il est né. De nature, le Tehuelche est peu enclin au rire, et si jamais il le fait, il s’esclaffe, d’une façon presque anormale, comme s’il voulait mettre en évidence que cette manifestation-là ne va pas de pair avec son tempérament »

(Ramon Lista, 1894)

Le missionnaire Thomas Bridges réalise une étude linguistique plus poussée et élabore en 1865 un dictionnaire yaghan-anglais, qu’il complète en 1879 et qui sera publié en 1933 ; son fils, Lucas Bridges, rédige un dictionnaire de la langue haush. Charles Wellington Furlong ramène de sa mission en 1907-1908 des enregistrements de musique ona et yaghan. Entre 1911 et 1923 Martin Gusinde, un prêtre et anthropologue prussien,  recueille une centaine de mythes yamana et selk’nam qui seront étudiés un demi-siècle plus tard par Mireille Guyot.

Les observations et les études ethnologiques se multiplient dans la première moitié du XXe s. ; Martin Gusinde prend de nombreux clichés des indiens Yaghan et Selk’nam, parallèlement à ses notes écrites. Il dénonce en même temps l’extermination qui menace les peuples fuégiens, victimes des colons et des aventuriers de toutes sortes. C’est en effet au moment où les ethnologues s’intéressent à ces populations, longtemps considérées comme indigentes sur le plan culturel et matériel, que disparaissent leurs derniers représentants. Le nombre de Yaghan, qui était estimé à 10.000 en 1839 et 3000 en 1855, chute à moins de 500 en 1889 et à une soixantaine dans les années 1940.  Les ethnologues sont ainsi progressivement remplacés, sur le terrain, par les archéologues. L’étatsunien Junius Bird, missionné par l’American Museum of Natural History,  effectue à partir de 1932 des prospections par voie terrestre et maritime au Chili et en Argentine, de Chiloé à l’ile Navarino ; il rencontre des groupes Alakaluf et fouille plusieurs sites dont les abris-sous-roche de Cañadon Leona (à l’est de Villa Tehuelche), la grotte de Cerro Sota et surtout les grottes Fell et Pali Aike (au nord de Punta Delgada), ce qui lui permet d’établir une chronologie de 5 périodes, couvrant douze millénaires, de 10.000 av. J.-C. à l’actuel. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’ethnologue français José Emperaire entame également des prospections et de fouilles archéologiques dans les senos Otway (gisement d’Englefield) et Skyring et autour du détroit de Magellan, bientôt rejoint par son épouse, la préhistorienne Annette Laming-Emperaire, qui poursuit les recherches seule après la mort accidentelle de son époux sur le site de Ponsonby. L’états-unienne Anne Chapman, pour sa part, se livre à un travail ethnologique approfondi  à partir des témoignages des derniers indiens non-métissés encore vivants et assiste à leur disparition complète dans le dernier quart du XXe s. A partir de 1981, la mission archéologique française en Patagonie, dirigée par Dominique Legoupil (équipe Arscan de Nanterre), prend le relais des travaux de José Emperaire et Annette Laming-Emperaire.

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